« Le pire, dans l’enfance, c’est de ne pas savoir que les mauvais moments ont une fin, que le temps passe. Un instant terrible pour un enfant plane avec une sorte d’éternité, insoutenable. »
Rahhhhhhh je me suis encore fait avoir par David Vann!!! (sourire)
Pourtant, concernant ce roman j’avais lu quelques avis mitigés, que venaient confirmer un début de lecture un peu cahoteux. Comparativement à ses autres romans, j’ai eu du mal à entrer dans l’histoire avec la même fougue. Le rythme est lent. Il y a quelques longueurs jusqu’à la moitié du livre, même si je trouve l’idée absolument géniale d’associer le monde marin à l’âme humaine. Il faut dire que je m’attendais d’emblée à être submergée de plein fouet dans un univers tout ce qu’il y a de plus noir - cet univers unique auquel l’auteur m’avait habituée - de ressentir un malaise, une plongée en apnée, malsaine et violente, dans laquelle je me débattrais en eau trouble et qui me terroriserait juste assez pour passer quelques nuits blanches. J’exagère à peine. J’ai eu du mal à me remettre de son Sukkwan Island, que j’ai ADORÉ par ailleurs! Chemin faisant, l’histoire progresse, les nuances s’affinent de détails multiples, longue évolution vers des personnages qui s’intensifient et se précisent dans leur personnalité. Et là, sans qu’on ne le voit venir, c’est le point de rupture et tout bascule. JUBILATION! Je venais de retrouver David Vann dans toute sa « splendeur », explorant les limites de l’homme, cette immersion de l’autre côté du mur, Dark side of the moon, une noyade de la psyché sur des vagues d’émotions qui auscultent les dérives de la folie. Quel génie!
Caitlin, 12 ans, vit seule avec sa mère dans une vieille bicoque de Seattle. La peur au ventre de la perdre, elle fait des cauchemars. Chaque soir après l’école, elle se rend à l’aquarium et admire les poissons à travers l’épaisse vitre, lieu de recueillement et bulle de réconfort. Elle y rencontre un vieil homme, étrange personnage qui ressemble à un poisson-grenouille à trois-tâches, avec ses cheveux, ses vieilles mains usées. D’ailleurs, les hommes adoptent un peu les mêmes comportements que les poissons, pour peu qu’on prenne le temps de les observer. Enfouis sous la roche, à l’abri du monde marin, ils se protègent. Certains, comme l’hippocampe, ont l’avantage d’avoir une armure. Et nous, n’avons-nous pas cette même carapace nécessaire à notre survie? Ces mécanismes de défense qui nous isolent en plein cœur des eaux agitées. Leur aquarium est notre maison. Aux heures de remous intérieurs, des vagues à l’âme aux violences du spleen, on s’accroche. Vagues fragiles et dévastatrices. On se brise mais on survit.
Dans Aquarium, David Vann confronte le lecteur à certaines questions essentielles, voire existentielles. Qu’est-ce qui fait de l’homme un être humain? Quelle est la part d’héritage dans les séquelles d’amour? Sommes-nous perméables ou non aux traumatismes de l’enfance, et qu’est-ce qui fait que certains le sont plus que d’autres? Il explore également, avec une finesse incroyable, le manque sous toutes ses formes, l’absence, l’incapacité de revenir en arrière, la sécurité affective et le pardon. Les séquelles de la guerre et l’homosexualité. Enfin, la relation mère-fille est au cœur du roman, avec ses élans violents, ses culpabilisations, son dégoût, sa haine et sa rage. L’aquarium est un rempart efficace à la survie de l’âme, mais à tout moment, il pourrait se briser en mille éclats...
« Comment recolle-t-on les morceaux d’une famille ? »
Lire l'excellent billet de Guillome
Et celui de Fanny
Mes billets sur Sukkwan Island et Désolations