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16 septembre 2016 5 16 /09 /septembre /2016 23:35

 

 

Le charme des après-midi sans fin est une lettre d’amour que l’auteur adresse à sa grand-mère Da. Depuis L’Odeur du café, il aura vieilli de quelques années. Quand ce second roman verra le jour, Da se sera déjà éteinte un samedi d’automne, à l’âge de 96 ans. Cinq ans après sa mort, les mots émouvants de son récit lui adresseront un dernier adieu.    

 

Sous forme de petits portraits, instantanés de son quotidien, il écrit avec nostalgie son enfance haïtienne à Petit-Goâve. Les souvenirs émergent du passé et bouleversent l’âme du lecteur. Sur la galerie du 88 de la rue Lamarre se tient fièrement une grande balance à café. Assise sur sa vieille dodine, une chaise de Jacmel dont elle ne se sépare que pour dormir, Da passe des heures à discuter avec son petit-fils, Vieux Os. L’odeur du café des Palmes, le préféré de Da, se fait sentir partout dans le village. À toute heure du jour, les gens passent et s’arrêtent pour boire une tasse bien chaude. Da ne serait pas Da sans son café qu’elle prépare amoureusement dans la cour sous la vieille tonnelle. Il est le témoin muet du réconfort qu’elle transmet. Et de l’amour infini qu’elle porte en elle…

 

« Da dit que c’est ainsi la vie. Un moment, vous êtes là, on ne voit que vous, on n’entend que vous, on ne parle que de vous, et un autre moment, on ne se souvient même pas de votre visage. Moi, je veux me rappeler toujours les yeux de Vava. »

 

Dany Laferrière n’oubliera jamais Vava, son amour de jeunesse. Jeune fille éblouissante dans sa petite robe jaune, aussi jaune que le soleil, assise sous le manguier. Il ne voit qu’elle, des papillons dans le ventre. Cinquante ans après, il lui dédie un livre jeunesse remplit d’amour : Je suis fou de Vava. Un trésor…

 

« Si j’ai aimé une fille, elle ne me sera jamais indifférente. Mon cœur battra toujours plus vite en entendant son nom. »

 

« Ses yeux se posent à peine sur moi que, déjà, ils me brûlent par leur feu intense. Même à cette distance, je sens cette chaleur. »

 

Il n’oubliera jamais non plus Rico et Frantz, avec qui il a fait les quatre cents coups. Ni Didi, Fifi, Edna et Sylphise. Certains d’entre eux reposent aujourd’hui dans un cimetière de Petit-Goâve. Il se souviendra d’une soirée chez Nissage et du fils d’Izma, mort de la tuberculose. D’autres gens encore et des commérages, de sa passion pour les livres, d’une épidémie de choléra, du bon vieux Marquis, le chien de son enfance et des rêves étoilés sous la penderie. Et qu’est-ce qu’il aimait regarder Da, son regard et l’expression affectueuse des traits de son visage. Un jour, sa mère et ses tantes ont dû rentrer à Port-au-Prince, le laissant seul avec Da des années durant. Il était encore enfant. J’ai l’impression que l’adulte qu’il est devenu lui doit tout, mais avant tout, un amour infini pour la vie. Et des racines inoubliables. 

 

Le régime des Duvalier débarque à Petit-Goâve. Les troupes gouvernementales encerclent la ville. Arrestations, amendes et couvre-feu général, des gens sont jetés en prison. L’auteur reste flou sur ces moments historiques qui ont marqué sa vie à jamais. Pudeur ou douleur encore omniprésente, de ces conflits il devra quitter Petit-Goâve et rentrer à Port-au-Prince. Ce jour-là, derrière le rideau de la fenêtre, Vava lui fait un baiser de la main. Et Da le regarde partir en pleurant. Il ne les reverra plus jamais qu’en pensées… 

 

« J’ai écrit ce livre pour une seule raison : revoir Da. Quand « L’Odeur du café » est paru en automne 1991, Da était encore vivante, et elle l’a lu.

-Vieux Os!... Quel beau cadeau tu m’as fait!

-Je te l’avais promis

Je me souviens de son doux sourire… Elle est morte un samedi matin. Et depuis, elle me manque. »

 

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« J’ai pris tant de plaisir à être à Petit-Goâve que je n’ai pas vu le temps passer. »

Le Charme des après-midi sans fin - Dany Laferrière
Le Charme des après-midi sans fin - Dany Laferrière
27 août 2016 6 27 /08 /août /2016 01:47
Gouverneurs de la rosée - Jacques Roumain

“Gouverneurs de la rosée est le plus beau roman d’amour que j’ai lu… »  

Dany Laferrière

 

Il y a des livres avec lesquels on tombe littéralement en amour dès les premières pages. Gouverneurs de la rosée est de ces romans que l’on oublie jamais…

 

« Toutes ces années passées, j’étais comme une souche arrachée, dans le courant de la grand’rivière ; j’ai dérivé dans les pays étrangers ; j’ai vu la misère face à face ; je me suis débattu avec l’existence jusqu’à retrouver le chemin de ma terre et c’est pour toujours. »

 

Après plusieurs années d’exil, Manuel est de retour vers l’Haïti de son enfance. Il revient des champs de canne à sucre de Cuba où il a trimé dur du matin au soir. Il pourrait lui prendre l’envie de pleurer tant le spectacle qui s’offre à ses yeux est désolant : Fonds-Rouge, sa terre natale, est en train de mourir. Calcinés sous la chaleur de la Savane, les arbres sont morts, morts de soif. Le canal est à sec et tout dépérit, les bêtes comme les plantes. Il n’y a plus rien à se mettre sous la dent, ni de riz-soleil, ni de pois-congo, pas même une goutte d’eau. Le grand mal s’est emparé du village et par-dessus tout, la main de l’homme a tout déboisé…   

 

« Tu as beau prendre des chemins de traverse, faire un long détour, la vie c’est un retour continuel. »

 

Les habitants sont amers. Le serait-on à moins? À bout de nerfs, les enfants pleurent et les mères ont peur – elles ont peur pour eux. Toute cette haine, ces bavardages, ces querelles et vengeances engendrés par la misère. Mais ils ont la foi, c’est ce qui les maintient en vie. Les hounsi s’adonnent des nuits entières à des prières et rites vaudous, sacrifiant une bête en dansant sous les étoiles. Quelques uns trouvent une consolation salvatrice, bien qu’éphémère, dans les bouteilles de clairin haïtien, une eau-de-vie à 60% d’alcool. De quoi noyer, pour au moins quelques heures, la peur du lendemain.

 

“Le malheur bouleverse comme la bile, ça remonte à la bouche et alors les paroles sont amères. »

 

Alors Manuel s’est mis à chercher l’eau. Au-delà du courage, il avait trouvé l’amour dans le regard complice d’Anaïse. Un amour infini, fait de confiance et de rêves communs. Celui qui vous mène à franchir n’importe quels obstacles et dont les pires sécheresses n’arriveront jamais à faire mourir la soif de vivre. C’est ainsi qu’un jour il aperçut les malangas. Puis l’eau s’était mise à monter. Menant Anaïse au secret de la source, il lui fit l’amour pour la première fois, « et la rumeur de l’eau était entrée en elle »…  

 

« Elle ferma les yeux et il la renversa. Elle était étendue sur la terre et la rumeur profonde de l’eau charriait en elle une voix qui était le tumulte de son sang. Elle ne se défendit pas. Sa main si lourde lui arrachait une douceur intolérable, je vais mourir. Son corps nu brûlait. Il desserra ses genoux et elle s’ouvrit à lui. Il entra en elle, une présence déchirante, et elle eut un gémissement blessé, non, ne me laisse pas ou je meurs. Son corps allait à la rencontre du sien dans une vague fiévreuse ; une angoisse indicible naissait en elle, un délice terrible qui prenait le mouvement de sa chair ; une lamentation haletante monta à sa bouche, et elle se sentit fondre dans la délivrance de ce long sanglot qui la laissa anéantie dans l’étreinte de l’homme. »

 

Il n’y aura désormais qu’une seule façon de faire de la nature qu’elle soit gonflée de pluie. Ne jamais oublier que dans la misère et l’injustice, l’entraide et le pouvoir de la réconciliation triompheront de tout. Et l’amour surtout - avant tout - celui d’Anaïse...  

 

Le chant du coumbite sera celui de l’eau, des plantes, de la terre, de l’amitié et du courage. Et la mort, « le recommencement de la vie. » 

 

« Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes : c’est une présence, dans le cœur, ineffaçable, comme une fille qu’on aime : on connaît la source de son regard, le fruit de sa bouche, les collines de ses seins, ses mains qui se défendent et se rendent, ses genoux sans mystères, sa force et sa faiblesse, sa voix et son silence. »

 

C’est sans aucun doute l’un des plus beaux romans que j’ai eu l’occasion de lire… <3

 

 

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Je voudrais remercier Aurore, Samuel et particulièrement Anthony, avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger, d’avoir fait en sorte que ce roman se rende jusqu’à moi. Les trois fondateurs de La Kube vous proposent, par l’entremise de librairies sélectionnées, de recevoir, par la poste, un livre finement choisi selon vos envies. Par la même occasion, je tenais à remercier Sarah, de la librairie Terre Des Livres, de m’avoir fait découvrir Gouverneurs de la rosée. Je n’oublierai jamais ce roman, d’une beauté infinie…

 

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9 avril 2016 6 09 /04 /avril /2016 01:02
L'Or noir - Arthur H et Nicholas Repac

« Dans chaque pas en terre étrangère,

de nouvelles racines prolongent

le chemin qui vient du pays natal. »

 

René Depestre - Haïti

 

*******

 

Ce soir, j’ai rendez-vous avec les airs intimes des caraïbes francophones...

 

Faire des heures de route n’a plus le même sens depuis que je voyage avec Arthur H et Nicolas Repac. J’ai laissé le volant de mon Westfalia rose, années 80, à Arthur. De la pointe de Grand’Anse à Port-de-Paix, en Haïti, le siège baissé et les pieds sur le tableau de bord, je bois ses mots avec la même ferveur que l’on met à tremper ses lèvres dans un Cocktail bien frais couleurs passion - jus d’orange, grenadine, curaçao, une rondelle de citron vert, 1 coupelle de sucre rouge, une fleur de grenadia et un Barbancourt 5 étoiles – fin de l’aparté. Nous longeons la mer des Caraïbes, l’eau est turquoise et les poèmes qui défilent dans ma tête ont une odeur de soleil. Arthur H, le « raconteur chanteur » de Poétika Musika, a choisi les textes de poètes des Antilles qui s’épousaient le mieux à ses émotions musicales. Il a voulu « reconnaître les liens qu’ils tissaient avec sa propre identité ».  

 

« J’irai par quatre chemins confesser l’indigo en poudre fine de ta petite culotte qui compte bien plus d’étoiles que les drapeaux des États fédéraux. Amoureux, je ne suis qu’un homme simple souffrant d’un gigantisme au niveau du myocarde me donnant un cœur trop grand pour ton âge. »

 

« À toi ma chance belle, ma chanson douce de me donner le bain en ton âme, navire à voiles, barque de mousse, et ton corps d’ail farci de tous les sortilèges. Encore vivrai-je de temps en temps sous la conjonction planétaire de tes tours de hanche gonflées de coups de grâce. »

 

James Noël - Haïti

 

Sur la banquette arrière, pour lui permettre de jouer plus librement de ses instruments, Nicolas Repac s’est saisi de ces poèmes afin de leur donner vie. Ils ont vibré en lui avant de nous être offerts à travers une fête harmonique de flûte, sanzas, guimbarde, sansula, duduk, harmonium indien, sampleur, guitare et tant d’autres. Pour peu qu’on se ferme les yeux quelques instants, on danserait pieds nus dans le sable, la nuit durant, avant de s’endormir sous les étoiles de ce Sud qui me bouscule le cœur.

 

« …si bien que l’on ne saurait plus qui passe ou d’une étoile ou d’un espoir

ou d’un pétale de l’arbre flamboyant

…Alors la vie j’imagine me baignerait tout entier

mieux je la sentirais qui me palpe ou me mord

couché je verrais venir à moi les odeurs enfin libres

comme des mains secourables

qui se feraient passage en moi

pour y balancer de long cheveux

plus longs que ce passé que je ne peux atteindre. »

 

Aimé Césaire - Martinique

 

L’or noir d’Arthur H est un écrin de merveilles dont les sens s’immergent sans fin, sans limites de temps ni crainte de l’épuisement que ses caresses pourraient provoquer en nous.

 

« Black gold, l’or noir, l’exploration du sexe, de l’âme et du cœur, du sens caché, du sens limpide, du sens révélé par le contact, le toucher si ressourçant avec l’âme du monde dans toute sa rugosité délirante, son hystérie, sa douceur, son infini douceur… c’est comme caresser la terre avec tout l’amour possible et voir des tourbillons de poussière s’élever vers le ciel pour devenir des soleils… »

 

Arthur H

 

Toujours les pieds sur le tableau de bord, je voyage au cœur de sensations fortes. Je ne voudrais être ailleurs qu’ici, au cœur de ces mots Couleur Café…

 

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« Arthur, le nègre

 

Enfant, j’ai entendu quelqu’un dire que les nègres étaient des gens qui vivaient le long du fleuve Niger et cela m’avait tant touché que souvent la nuit je filais là-bas. Il n’était pas question de race, ni de couleur mais d’un lieu où l’on pouvait se rendre en suivant le fil rouge de la nuit. Je dis cela parce qu’après t’avoir entendu, Arthur, je suis retourné là-bas où je t’ai retrouvé.

 

Le chemin, pour y aller, n’est pas fait de terre mais de chants, un long ruban de chants rugueux, longtemps macérés dans l’eau de vie et le sang gâté. J’y ai retrouvé des gens venant de partout et de tous les temps.

 

Ils y étaient par choix. Glissant, les pieds dans l’eau, conversant avec Césaire. James Noël pêchant des écrevisses juste à la courbe du fleuve, et ce nègre courant dans la brousse avec un molosse à ses trousses ne peut être que Chamoiseau, et tant d’autres, même Queneau et Vian, et cette voix qui nous vient du fond de la bananeraie, langoureuse et élégante, comme un hamac l’aurait fait s’il savait chanter, parfois grave et sèche comme une lampée de rhum, pour s’éteindre doucement afin de faire corps avec la nuit : c’est celle d’un jeune homme du nom d’Arthur H. Il a trouvé la route qui mène au fleuve simplement en murmurant des poèmes ramassés ça et là et qu’il nous chantera avec son complice Nicolas Repac. Soudain, Césaire s’est retourné pour lui demander de rejoindre le petit groupe de poètes nègres morts. Quand l’aube s’est agitée et qu’il fallait revenir à la surface du jour, Arthur a voulu y rester, et depuis je suis sans nouvelle de lui… »

 

Dany Laferrière

 

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Un grand merci au Bison qui a fait traverser L’Or noir par-delà l’océan pour m’en faire goûter les fruits délicieux, gorgés de poésie…

L'Or noir - Arthur H et Nicholas Repac
11 janvier 2015 7 11 /01 /janvier /2015 23:00

Je fais remonter ce vieux billet couleur café, pour se souvenir d’Haïti, 5 ans après…

Tendresse à ma famille haïtienne, Valérie, François, Marie-Michèle et à toi, grand-maman. Je vous aime <3  

 

 

L'odeur du café

 

 

Et la si belle version illustrée par Francesc Rovira:


 

L'odeurducaféillustré

 

 

"Il y a longtemps, très longtemps, j'étais un petit garçon de 10 ans follement amoureux de Vava. Aujourd'hui, je suis un homme de plus de 50 ans, et je suis toujours amoureux de Vava. L'amour est éternel"

Extrait: Je suis fou de Vava, Les Éditions de la Bagnole, 2014

 

Ce livre est d'une tendresse infinie...

 

Forcé à fuir Haïti sous le régime Duvalier, et suite à l'assassinat de son collègue et ami, Dany Laferrière a choisi le Québec comme terre d'accueil. Dans ce petit récit écrit sous forme de prose, il évoque avec passion les souvenirs de son enfance à Petit-Goâve, auprès de sa grand-mère Da, à laquelle il est profondément attaché. La relation qui les unit est douce et complice, on voudrait tendre la main, la vivre...

 

Son quotidien est semé de petits bonheurs simples. Il regarde les colonnes de fourmis, pendant des heures, sans se lasser... Da arrose la galerie... Dans ces pages, le temps s'est presque arrêté, figé dans le souvenir d'émotions douces.

 

Il a capté dans les moindres détails des images, des couleurs, des goûts, des odeurs, comme le bon café de Da. Et notre voyage n'en est que plus beau, il éveille en nous la finesse des sens et y laisse une empreinte.

 

Des personnages s'infiltrent ici et là avec simplicité. Sa première amoureuse, la petite Vava à la robe jaune, celle qui fait toujours battre son coeur 50 ans plus tard. Un voisin un peu trop curieux, des amis d'école, sa cousine Didi... Dany Laferrière est un authentique, un poète de l'âme et des sentiments vrais.

 

La beauté de cette prose, selon moi, réside dans cette manière qu'il a d'aborder le quotidien avec nonchalance, désinvolture, naturel. Son village est plein de vie, il y fait chaud. Et on s'y croirait, sous le soleil des Caraïbes. En le refermant sur la dernière page, j'ai posé ce livre sur mon cœur, simplement, dans un geste d'amour...

 

"J'ai écrit ce livre pour toutes sortes de raisons. Pour faire l'éloge de ce café que Da aime tant et pour parler de Da que j'aime tant. Pour ne jamais oublier cette libellule couverte de fourmis.

Ni l'odeur de la terre.

Ni les pluies de Jacmel.

Ni la mer derrière les cocotiers.

Ni le vent du soir.

Ni Vava, ce brûlant premier amour.

Ni le terrible soleil de midi.

Ni Auguste, Frantz, Rico, mes amis d'enfance.

Ni Didi, ma cousine, ni Zina, ni Sylphise, la jeune morte, ni même ce bon vieux Marquis.

Mais j'ai écrit ce livre surtout pour cette seule scène qui m'a poursuivi si longtemps: un petit garçon assis aux pieds de sa grand-mère sur la galerie ensoleillée d'une petite ville de province.

Bonne nuit, Da!" 

 

Juillet 2012

 

Tout bouge autour de moi: Le lien (clicker pour lire)


 

Dany

8 novembre 2012 4 08 /11 /novembre /2012 15:16

Tout bouge autour de moi

 

« L'Occident devra prêter attention à cette part de spiritualité qui a permis à l'Haïtien de ne pas crever de solitude sur ce caillou entouré d'eau »

 

Dany Laferrière, 2010

 

 

À Montréal, il y a quelques semaines, la Terre a tremblé (deuxième fois en un mois...). À peine... mais suffisamment pour me tirer de mon sommeil et me faire réaliser que nous sommes bien petits. Dany Laferrière, pour sa part, était à Haïti le 12 janvier 2010, et je me demande si ces quelques secousses en terre québécoise ont fait resurgir en lui l'horreur de ces quelques minutes...

 

J'ai eu la chance de l'entendre au Studio littéraire de la Place des Arts trois mois après le séisme. Et je dois dire que j'ai été frappée par la beauté intérieure de cet homme qui m'a beaucoup émue. Un homme d'une grande humanité, qui m'a semblé porter en son regard une force fragile et en ses mains un courage sans fin. C'est étrange, j'ai eu envie de le serrer dans mes bras, de m'approprier cette énergie du survivant.

 

Dans « Tout bouge autour de moi », écrit à peine quelques jours après ce 12 janvier, j'ai côtoyé en ses mots une troublante authenticité, un traumatisme à fleur de mots. Dany Laferrière précise, dès les premières lignes, que cet ouvrage n'est pas un livre : « C'est mon intimité mise en mots. D'ailleurs, si j'accepte de m'ouvrir un peu sur cette question, c'est seulement pour que d'autres personnes ne se croient pas seules à ressentir de telles émotions. » Il nous confiera que tout ce qui bouge lui fait peur. Que dès qu'il ferme les yeux, les images affluent dans toute leur horreur. Dès les premières secondes de ce tremblement, il s'est demandé ce qui pouvait bien arriver à son pays qui a déjà tout connu, des dictatures aux coups d'État, des cyclones aux enlèvements... Dany Laferrière en a perdu la notion du temps, jusqu'à des mois suivant ce jour fatidique.

 

J'aimerais ici retranscrire un passage qui m'a particulièrement touchée : « On s'étonne que ces gens puissent rester si longtemps sous les décombres, sans boire ni manger. C'est qu'ils ont l'habitude de manger peu. Comment peut-on prendre la route en laissant tout derrière soi? C'est qu'ils possèdent si peu de choses. Moins on possède d'objets, plus on est libre... ». N'est-ce pas des paroles à nous faire réfléchir au creux de nos fauteuils douillets, le ventre repu et l'âme en paix? Là-bas, en Haïti, les gens sont dans les rues et chantent pour calmer leur douleur. Ils sont tellement habitués à « chercher la vie dans des conditions difficiles qu'ils porteront l'espérance jusqu'en enfer. »

 

Le ton de la dernière partie de sa chronique, bien que laissant place à des émotions tout aussi fragiles, est teinté par la révolte. Il se demande à quel point il est possible de pleurer ses morts alors que tant de gens piétinent leur intimité : « Le pire n'est pas l'enfilade de malheurs, mais l'absence d'humanité dans l'oeil froid de la caméra. » Il se révoltera également contre le discours culpabilisant de la diaspora. Il craindra le regard prétentieux des occidentaux qui croient tout connaître. Les volontaires qui arrivent en terre haïtienne sans comprendre leur vision du monde et qui s'octroient le droit de s'immiscer dans leurs cérémonies de toutes sortes. Il faut du temps pour s'introduire dans un pays et pouvoir affirmer qu'on en connaît la religion, la langue et la culture... « Celui qui vous aide vous met sa culture sous le nez. Tout cela dit sur un petit ton de fausse humilité, qui est la pire des vanités. Et l'orgueil, c'est de croire que l'autre n'a pas compris la situation. Et qu'il a avalé votre jeu. »

 

Je suis loin de penser que Dany Laferrière méprise ces gens qui tentent d'aider son pays. Je crois plutôt que lorsqu'on vit un tel drame, on doit se sentir le besoin de s'entourer des personnes qui sont issues de notre culture. Que les « visiteurs » sont des intrus envahissants qui nous font plus de mal que de bien, qui brisent cette intimité que nous proclamons à grands cris dans la solidarité de notre peuple. Nous savons que les gens sont souvent voyeurs et qu'une catastrophe naturelle est le prétexte idéal pour imposer sa présence à une population qui a pourtant besoin de solitude...

 

Inutile de vous dire à quel point je vous recommande cette merveille...

 

danylaferriere

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