« Les doigts de Ryüji touchèrent les bouts de ses seins sur la robe de coton bleu. Elle tourna légèrement la tête, ses cheveux lui chatouillèrent le nez. Comme toujours, il eut la sensation d’être venu de très loin, de l’autre bout de la terre, pour arriver à un point délicatement sensible, un frisson au bout de ses doigts, près d’une fenêtre, un matin d’été »
J’aime tellement les livres qui me ramènent à la mer, qu’elle soit tempête ou douceur. Les vagues ont ce pouvoir de me bercer l’âme. Chaque fois, j’ai cette sensation de volupté marine qui chatouille le grain de ma peau. Dans ce roman, Mishima arrive si bien à allier les passions de la mer à la sensualité des corps nus dans l’étreinte. Cette imbrication des sens, dans l’amour, est enivrante...
Ryüji est un officier de la marine marchande. En bon solitaire, il n’a que, pour seule compagne, la mer. Jusqu’au jour où il rencontre Fusako, à Yokohama, cette femme douce et délicate, si féminine. C’est le choc amoureux. Il ne trouvera d’autres mots, pour lui exprimer sa passion, que ces longs baisers glissant le long de son corps. Un homme tendre et doux. Un homme sensible, saisissant. Ils s’aimeront des jours durant, jusqu’au petit matin, de nuits folles, de caresses et d’un amour charnel émouvant…
« Sa chair semblait comme une armure dont il aurait pu se débarrasser au besoin. Alors elle regarda avec surprise, émergeant de l’épaisse forêt du bas-ventre, la tour du temple triomphalement érigée »
…jusqu’au prochain départ en mer, tant redouté. À peine se sont-ils quittés qu’ils s’attendent déjà. Et au jour des retrouvailles, Ryüji pleure d’émotion de la revoir, les larmes s’écoulent le long de sa joue (un homme ému aux larmes, comme c’est craquant !). Abandonnera-t-il tout ce qui l’avait détaché du monde par amour ? Qui triomphera entre ces séparations dont il n’arrive pas à effacer le souvenir et son dégoût de la terre ferme ? La sirène retentit, l’histoire le dira…
Une ombre noircit le tableau, le fils de Fusako, Norobu, 13 ans. Depuis la mort de son père, il n’a jamais pu accepter un autre homme dans leur vie. Il se sent troublé, confus. Il est profondément tourmenté par les étreintes de sa mère qu’il surprend, une nuit, à travers le petit interstice de sa commode. Tourmenté parce qu’il n’en comprend pas le sens. Ces nuits le placent dans un isolement qu’il ne supporte pas.
Les jeunes qui lui tiennent lieu de famille sont une bande de délinquants. Leur mot d’ordre : « ne faire preuve d’aucune passion ». Quand ils se rencontrent, ils discutent de l’ « inutilité de l’espèce humaine », ils changent le monde. Une scène assez horrifiante du roman nous décrit dans les détails la manière dont ils s’y prennent pour tuer sadiquement un chat et le disséquer ensuite. Deuxième mot d’ordre : « briser pour briser ». Des gestes qu’ils croient nécessaires pour combler les grands vides du monde. Suite à la nuit d’amour que Noboru surprend entre sa mère et Ryüji, Norobu leur parle du marin. Qu’en feront-ils?
Ce roman est bouleversant, sensible, humain, dérangeant. Ces Japonais ont le talent d’allier la douceur à la brutalité, pour la rendre presque belle, intouchable. Écrit avec cette poésie que j’aime tant, des métaphores sublimes, dans un langage imagé et tendre. Quand on connaît la manière dont l’auteur s’est donné la mort, on ne s’étonne pas que ses personnages soient habités par la fatalité. C’est pourtant d’une belle sensualité. Mishima, j’y reviens toujours…
« C’est vraiment grâce à la mer que l’idée m’est venue de penser à l’amour plus qu’à toute autre chose, à un amour qui vous consume, qui vaille qu’on en meure. Pour un homme constamment enfermé dans un bateau d’acier, la mer qui l’entoure ressemble à une femme. Cela est évident quand on connaît ses accalmies et ses tempêtes, ses caprices ou la beauté de sa poitrine reflétant le soleil couchant ».