Cap au sud, le Baquedano, voilier-école de la Marine chilienne, appareille pour son dernier voyage, avec 300 hommes à bord. Les provisions sont chargées dans les écoutilles, les voiles sont déployées et on hisse le grand mât. Départ du Chili, Caltahuano, direction le Cap Horn, ce bout du monde situé à l’extrémité sud de l’archipel chilien. Je n’ai pu m’empêcher d’être du voyage, de vivre ce grand rêve. Alors je suis montée à bord avec Alejandro, clandestinement, et je me suis cachée dans une soute de proue. Ce jeune garçon de 15 ans avait rêvé de devenir marin, de suivre les traces de son père, mort dans le naufrage de l’Angamos. Moi, j’avais envie de découvrir les beautés époustouflantes du Cap Horn. De connaître un peu plus la mer, d’en être imprégnée, ébranlée, chavirée ... Mais lui, il rêvait avant tout de devenir un homme et de retrouver son frère parti aux Magellanes sans laisser de nouvelles. Il sera le dernier mousse. Et je l’accompagnerai…
Il faut comprendre une chose quand on prend le large, c’est qu’on ne supporte plus de s’en éloigner. On s’y attache, s’y amarre, tangue, ballotté par la houle redoutable, les vagues qui ondulent, irrégulières et sauvages. Le baromètre descend, point de rupture avec la mer, la tempête approche comme nous approchons du Cap Tres Montes. Il faut se munir d’une bonne dose de sang-froid, car on louvoie, voyageant à tombeau ouvert. Le spectacle est terrifiant. De violentes nausées me rappellent la mer des Caraïbes, déchaînée, indomptable. Le vent rugit dans les cordages. Pourtant, j’y suis revenue, avec Alejandro, comme on revient vers de vieux souvenirs ineffables. Parce qu’avant tout, il y a ce vent salé du large. L’infinitude de cette plaine liquide, la lune et ses marées, autant de beautés que les tempêtes n’arriveront jamais à affaiblir. Dans ce tumulte, un vieux loup de mer nous raconte ses périples en mer, la nostalgie au creux des yeux. Ainsi, nous voyageons encore un peu plus loin…
« En mer, quand la mort s’approche, il faut ouvrir grands les yeux et la regarder en face ; alors, elle fait moins peur, c’est comme si tu allais descendre à quai. C’est pour ça qu’un naufrage est moins dur sur une barque que sur un navire. Sur une barque on regarde la mort dans les yeux, on a envie de se lever et de marcher à son bras au milieu des vagues, mais sur un navire, tout est trop grand, il y a trop de bruit, d’appels, la mort s’annonce de façon si terrifiante que lorsqu’elle arrive on est comme fou. Plus grand est le bateau, plus dur est le naufrage. »
Punta Arenas, au bord du détroit de Magellan, face à la Terre de Feu. C’est le spectacle qui s’offre à nos yeux, inouï, grandiose, alors que nous approchons de notre but. Sa beauté dépasse tout ce que vous ne pourrez jamais imaginer. Les grandes estancias avec leurs millions de moutons. Des icebergs, redoutables géants de glace, dans toute leur immensité. Et chaque dimanche, un hommage à cette grandeur sans nom, le salut aux couleurs. Le nom en soi est d’une poésie incroyable. Je réalise néanmoins que j’ai oublié de vous parler du « Paradis des loutres », ce lieu secret protégé des Alakaluf, groupe indigène de la zone australe du Chili. Nous avons croisé leur route. Ces nomades se déplacent en canot et vivent dans des huttes. Ils nous ont accueillis, un peu sauvagement au départ, mais comme nous connaissions leur chef, Manuel, ils nous ont ouvert les bras et offert le couvert, de la chair crue de phoque. Ce n’est surtout pas le temps ni le moment de faire la fine bouche, car ils ne sont pas peu fiers de leur offrande. Après quelques jours en leur compagnie, nous reprenons la mer...
…et accostons, au terme de ce long périple, dans la partie la plus australe de l’Amérique du Sud, le Cap Horn. Nous avons eu du mal à le franchir, à cause de ses tempêtes mortelles, mais ce qui s’offre à nos yeux n’a pas de nom. C’est grâce à Francisco Coloane, cet écrivain touchant et profondément humain, que nous y sommes parvenus. Mais je dois avant tout la découverte de cet auteur au Bison des grandes plaines, proprio du Ranch sans nom.
Pour lire son magnifique billet aux saveurs marines
Le marin Manu en garde aussi des images mémorables :-)
Quelques photos de la Patagonie, prises par Sophie, ma voyageuse d’amie. Pour en voir d’autres, C'est ici
Sous le lien « Les voyages de Sophie », il y a une tonne d'autres magnifiques photos…