« Il y a des moments où la fragilité de tout ce qui vit est si apparente que l’on se met à attendre un choc, une chute ou une rupture à n’importe quel moment. »
Lire Siri Hustvedt, c’est un peu comme s’offrir une sucrerie chocolatée des plus appétissante. On la tient entre nos mains, on la porte à nos lèvres, la déguste goulûment et lorsque la dernière bouchée nous fond dans la bouche, on se désole que ce moment de bonheur se soit si vite achevé. Je me sais chaque fois conquise d’avance, car je ne suis pas sans ignorer que je serai transportée dans un univers complexe où les sentiments les plus profonds et humains jailliront de chacun des personnages. Que je vivrai à plein régime, ayant à peine le temps de reprendre mon souffle. Si ce roman peut nous donner l’impression de partir dans tous les sens, l’auteure garde pourtant le cap, droit devant, en maintenant le fil, sans s’éparpiller. Car rien n’est laissé au hasard. Tout est décortiqué, analysé finement, jusqu’au recoupement des idées...
Un été sans les hommes, c’est l’histoire de Mia, 55 ans. Le jour où elle se fait larguer par son mari, elle pète les plombs et est internée, victime d’une crise psychotique aiguë. Elle ne mange plus, est désorientée, le corps ankylosé par les médicaments, en proie au délire et aux hallucinations. Elle quitte alors Brooklyn pour le Minnesota, pour se réfugier auprès de sa mère placée en maison de retraite. Elle fera la connaissance de quatre femmes, à la force de caractère surprenante, qui participent avec sa mère à un club de lecture, et se liera d’amitié avec certaines d’entre elles, dont elle sera la confidente d’histoires touchantes. En plus de ces riches rencontres, et en tant que poète de formation, Mia initiera, le temps d’un été, sept adolescentes à la poésie. Vous imaginez sans doute les défis auxquels elle sera confrontée auprès de ces jeunes femmes en pleine crise identitaire. Bien que ces dernières offrent un contraste étonnant avec les octogénaires du club de lecture, l’auteure identifie les enjeux auxquels font face les femmes, tous âges confondus. Et c’est sans doute à mes yeux l’une des plus grandes forces de ce roman. Voilà, c’est ça… c’est une histoire de femmes, aussi fragiles et fortes à la fois. Car il y a aussi Lola, sa voisine, avec qui elle nouera un fort lien d’amitié. Cette dernière délaissée par un mari colérique et violent.
Siri Hustvedt sait parler de la maladie mentale et de ses limites. La thérapie à laquelle est soumise sa narratrice révèle la connaissance de l’auteure pour la psyché humaine. Elle porte un regard désolé sur la méchanceté, la douleur, la violence et la mesquinerie. Sa capacité de s’adresser, par moments, directement au lecteur révèle avec force son originalité. Son roman est parsemé d’ironie et de sarcasme, mais également de propos sur la sexualité qui me parlent d’une femme épanouie et libre. C’est sans étonnement que Mia tient un journal sexuel intime. Et qu’elle nous entretient sur certains pans de l’anatomie humaine, de l’histoire du clitoris à la genèse des chromosomes XX – XY. Vous aurez compris que je vous recommande fortement cette lecture, pour laquelle on est soi-même amené à se remettre en question. Un été sans les hommes, c’est un livre qui s’adresse aux femmes, mais que chaque homme devrait lire…