J'ai trouvé ce tout petit livre par hasard, chez un bouquiniste de l'Outaouais. Je n'avais plus rien à me mettre sous les yeux, alors j'ai «fouillé», me laissant aller à mes ressentis. J'aime tant parcourir les rayons ainsi, sans avoir au préalable de titre en tête, ce à quoi je me suis laissée aller trop peu souvent. Donc je ne cherchais rien de précis... Et mon regard a croisé le titre de ce roman à l'évocation si belle et poétique. Mais, quand j'ai vu qu'il avait été écrit par un académicien, je l'ai reposé. J'ai horreur généralement de ce genre de livre, que je classe dans la même catégorie que les prix Goncourt. Non seulement ils m'ennuient, mais en plus je les trouve prétentieux. Et pourtant, chaque fois mon regard y revenait, appuyé, de surcroît, par la quatrième de couverture. Alors je l'ai acheté... Je ne me lançais pas dans une grande aventure, le livre fait 150 pages et est écrit en gros caractères! Mais quand même, je suis allée au bout de mes préjugés...
Jeanne et son frère Thomas font naufrage au large d'un archipel imaginaire où des lettres de Scrabble flottent sur les eaux. Comme chaque naufragé de l'île, ils y arrivent muets, la tempête ayant arraché tous leurs mots. Les personnages de ce roman sont des verbes, des noms, des pronoms, des adjectifs, des articles... Et ils tombent malades, en plus d'avoir des sentiments. Tantôt maltraités, tantôt répétés sans cesse et usés, appauvris et massacrés, ils gisent sur des lits de fortune dans un hôpital surchargé de patients.
Ce roman, représenté sous forme allégorique, porte non seulement sur la relation d'amour entre l'écrivain et ses mots, mais d'abord et avant tout sur l'importance de préserver la justesse de la langue. Sans oublier, bien sûr, d'apprendre à relever les défis de la grammaire, des exceptions et des accords. L'auteur dira: «Les mots c'est comme les notes. Il ne suffit pas de les accumuler. Sans règles, pas d'harmonie. Pas de musique. Rien que des bruits. La musique a besoin de solfège, comme la parole a besoin de grammaire». Jeanne et Thomas prendront donc conscience du fait qu'avec les mots nous ne sommes jamais seuls. Nous nous enrichissons d'un trésor inestimable dont trop d'hommes sont appauvris et limités. Des forces destructrices et protagonistes, telles que la peur, la paresse et l'indifférence, chercheront sans cesse à nuire au savoir. Et il faudra à chaque instant s'en préserver...
Je ne peux pas dire que c'est le genre de lecture qui me permet de beaucoup m'évader, et je n'aurais pas lu 100 pages de plus. Évidemment, ce n'est pas un polar ni un roman à la psychologie fine qui pousse à de belles réflexions sur l'âme humaine et dont les dialogues sont d'une richesse émouvante. Mais j'ai aimé l'idée originale de la présentation, d'autant plus que la langue française me tient à cœur. Et surtout, je l'ai lu jusqu'au dernier mot:)