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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 22:04

Chagrin d'école

 

Dire de ce livre qu'il est magnifique serait un euphémisme, faire emploi d'un terme réducteur pour illustrer ce qui représente, à mes yeuxun chef-d'oeuvre littéraire. Dans «Chagrin d'école», Daniel Pennac ne dépeindra pas le système scolaire, pas plus que son rôle social, ses programmes, l'école d'hier et celle de demain, tout cela même qu'il considère changeant. Plutôt, il décrira ce qui constitue un facteur immuable de la société: la douleur partagée du cancre, des parents et des professeurs. Et, contre toute attente, pour illustrer ce cancre, il utilisera un modèle lui étant familier: le sien. Difficile à croirenon? Et pourtant... Sa scolarité fut désastreuse et il en garde de profondes blessures. Il mettra 1 an à assimiler la lettre «a» et son père lui dira sarcastiquement que 26 années devraient lui être suffisantes pour qu'il saisisse l'alphabet de A à Z!

 

Du cancre qu'il fut, il cherchera à en cibler les origines, familiales ou autres. Ces années auront laissé de lourdes séquelles: la peur et l'anticipation, la perte de confiance en soi, le renoncement à l'effort, la solitude, le chagrin, la honte, la haine et le besoin d'affection. Tel qu'il l'exprime avec vécu et justesse: «si l'on guérit parfois de la cancrerie, on ne cicatrise jamais tout à fait des blessures qu'elle nous infligea».

 

Il tentera également de retracer les gens et les situations grâce auxquels il s'en est sorti. Comment est né le professeur et l'écrivain célèbre? À quoi attribuer ce devenir? D'où en tire-t-il ses origines? Quels en sont les éléments déclencheurs? L'auteur se posera beaucoup de questionsur les dix années de sa vie, de février 1959 à septembre 1969, où il est devenu, cette métamorphose du cancre en professeur. Il y a certes eu ces professeurs qui ont cru en lui et qui lui ont donné un statut, de même que le rôle de la lecture à travers ce changement, l'écriture avant tout, l'amour également... Mais il se souviendra aussi de ses moments de délinquance comme d'un exutoire à la souffrance: «La naissance de la délinquance, c'est l'investissement secret de toutes les facultés de l'intelligence dans la ruse». La délinquance... son plus beau prétexte pour quémander en douce l'assentiment de ses professeurs, se faire voir des adultes et prouver qu'il existe.

 

Daniel Pennac a la passion de l'enseignement. Il nous entretiendra longuement de sa relation avec ses étudiants (es) et de son attachement plus marqué envers les «cancres», ceux qui ont des défis à relever, d'ordre familial, individuel ou autre. Il croira en leur avenir et sera sensible à leur vécu du moment. D'ailleurs, l'auteur partagera le contenu, par maints détails, des nombreuses heures passées auprès d'eux (elles) à les encourager et user de psychologie. Car, comme il le dira: «Il n'y a pas plus étanche que le chagrin pour faire écran au savoir». Daniel Pennac se consacrera donc corps et âme à ses étudiants (es): «Quand je suis avec eux ou dans leurs copies je ne suis pas ailleurs». Il transmettra son savoir par le jeu et l'humour: «Le jeu est la respiration de l'effort, l'autre battement du cœur, il ne nuit pas au sérieux de l'apprentissage». De cet apprentissage, il préconisera la méthode douce: «...la courtoisie mieux que la baffe prédispose à la réflexion». Et tout cela pour redonner le goût à l'effort... Il s'adaptera à leur langage, leurs silences, leur hostilité. Mais, avant tout: «Il faut aussi savoir donner de l'amour, les méthodes ne suffisent pas». Et l'amour, il en a à donner!

 

Quelle belle découverte que cet auteur. Son écriture est précise, dense, passionnée, sarcastique et ses images surprenantes... Ah, ces images tellement riches dont le livre est généreusement rempli. D'ailleurs, dès les premières pages, je venais déjà de m'arrêter à cette réflexion, parlant de sa mère: «Très tôt mon avenir lui parut si compromis qu'elle ne fut jamais tout à fait assurée de mon présent»...

commentaires

M
J'ai beaucoup aimé ce livre pour toutes les raisons dont tu parles.<br /> Et je garde à l'esprit un passage très juste sur la consommation, le besoin de consommer et ses conséquences sur la jeunesse que j'avais trouvé particulièrement pertinent.
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N
<br /> <br /> Zut, je ne me souvenais plus de ce passage sur la consommation, mais maintenant que tu en<br /> parles, je me souviens que tout au long du livre il y a un fond sur la sur-consommation et ses effets néfastes. Au fait, j’avais rencontré Pennac au Salon du livre de Montréal, il présentait<br /> « Journal d’un corps » l’an dernier, et je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander, en souriant,  s’il était vraiment cancre, que j’avais du<br /> mal à y croire. Il a répondu malheureusement, oui! Quel auteur quand même, il est assez génial.<br /> <br /> <br /> <br />
T
En fait, j'aime mes étudian(te)s. Et je crois que c'est aussi simple que ça.<br /> je n'ai pas à me plaindre d'eux, bien au contraire, ils m'apportent beaucoup.<br /> <br /> Dommage que je n'e t'ai pas eue comme étudiante, j'aurais adoré :-)<br /> <br /> Bises
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N
<br /> <br /> En économie, il t'aurait fallu beaucoup de patience avec moi, je m'y connais très peu. Mais je fais de gros efforts hein et je suis une élève modèle!!:)) (à croire ou ne pas croire...). En plus, si tu aimes tes étudiants(es), je suis très aimable... :)<br /> <br /> <br /> Bisous moins fièvreux<br /> <br /> <br /> <br />
T
Quelle belle leçon d'humilité pour les enseignants ... Cela montre le danger qu'il y a à caser les gens dans des petites boîtes qui ne contiendront jamais la complexité d'un homme ou d'un enfant<br /> ...<br /> merci pour cette lecture, Nad<br /> <br /> Becs bien sûr
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N
<br /> <br /> Voilà qui est si bien dit... Merci d'avoir pris le temps de venir par ici. Je crois que tu aimerais beaucoup ce livre... Tes étudiants (es) doivent t'apprécier<br /> autant que ceux et celles de Pennac... Et je n'en doute même pas:)<br /> <br /> <br /> Becs contagieux<br /> <br /> <br /> <br />

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