« Les arrière-saisons ont parfois quelque chose de déchirant. »
Rendez-vous chez Phillies, café-bar de Cape Cod. Ce soir j’ai sorti ma robe rouge, celle qui ne me sert que pour les grandes occasions. Je m’assois au bar, croise les jambes. Je passe par le Phillies toujours avec la même régularité, c’est en quelque sorte mon repère, l’endroit idéal pour noyer mes nostalgies. Et attendre... attendre Norman... Mais je ne vous embêterai pas avec mes soucis, Ben tendra l’oreille à mes vieilles histoires, histoires qu’il connaît par cœur d’ailleurs. Des années que l’on se connaît lui et moi. Derrière son comptoir, il astique ses verres. Il me sert un martini. Non, ce soir Ben je prendrai un verre de rouge. Rouge comme dans passion, une robe couleur rouge enfilée sur mon corps, le rouge des grands bouleversements intérieurs. J’attends Norman...
« C’est quelque chose de presque imperceptible, comme un tremblement, un frisson à la surface de la peau, une timidité autour des yeux, une très légère hésitation à l’instant d’emboîter le pas de l’autre. »
Philippe Besson a eu l’ingénieuse idée de prendre, pour point de départ, un tableau d’Edward Hopper, Nighthawks - Les Oiseaux de nuit, et d’en faire vivre les quatre personnages. Je me retrouve au cœur des échanges, pierre angulaire de ce huis clos, vêtue de ma robe rouge, tourmentée et nostalgique. J’ai l’impression d’un film au ralenti, les émotions ne s’insinuent que doucement, par petites touches intimistes, dans les interstices de mon cœur. Quelques mots suffisent, les autres se devinent, se ressentent, ce sont les non-dits qui en disent plus longs que les paroles elles-mêmes. C’est l’arrière-saison, je regarde devant plutôt que derrière, je pense à l’automne et non aux étés enterrés, j’ai envie d’en finir avec le passé. C’est l’arrière-saison, les couleurs automnales. Et malgré tout, j’attends Norman...
« Le silence est aussi une façon d’affronter la désolation. »
Un tout petit livre mais si dense, si chargé de sentiments divers, presqu’une nouvelle, qui parle du temps qui s’écoule et de celui qui ne reviendra jamais. Des deuils, des détachements nécessaires et des renoncements. De nos forces et nos fragilités. C’est une longue introspection de personnages aussi solitaires que Hopper aime à nous les représenter dans ses tableaux, contemplatifs, en retrait du monde. Et même s’il m’a manqué un je-ne-sais-quoi pour me rendre ce roman vraiment passionnant, les mots de l’auteur me parlent d’un homme qui possède une touchante maturité sur les émotions. Un homme qui a vécu, qui arrive à décortiquer les motivations de l’âme humaine, dans une finesse d’analyse rare, cherchant à fournir des réponses aux questions qu’il fait émerger de la psyché de chacun des personnages.
« En fin de compte, les souffrances font partie de l’existence, elles ne peuvent pas nous être épargnées mais elles valent cent fois mieux que des moments insipides, elles sont le prix à payer pour affirmer ce qu’on est et accomplir ce qu’on a décidé. »
Je n’ai pas été touchée par l'histoire de Louise comme je l’espérais, mais le récit en soi est riche et j’ai envie de retourner vite vers l’auteur dont j'ai adoré la profondeur de la plume. J'en ai justement un qui m'attend sur ma table de chevet ;-)
« Trop de tourbillon, trop de chagrin, trop d’alcool. Ou pas assez. Pas assez de ces bras qui enlacent, qui soutiennent, qui guident. Pas assez de ces regards désintéressés, de ces moments de rien qui sont la vraie vie. »