« Maintenant encore, dans les nuits allongées en plein air, je sens le poids de l’air dans ma respiration et une acupuncture d’étoiles sur ma peau. »
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« À l’intérieur passait le spectre d’un petit arc-en-ciel. Là, j’ai su que la cascade est une merveille différente du feu d’artifice. J’aime la neige, la grêle et le saut à pic d’une cascade. J’admire l’avalanche, l’air déplacé comme une gifle, l’écroulement d’une paroi qui se détache avec sa charge de neige. J’aime l’eau qui plonge en descente, mais pas le feu qui s’élance vers le haut et veut monter, se cabrer et s’effriter en cendres. »
Erri De Luca revient avec nostalgie sur l’été de ses dix ans. Enfant casanier amoureux de la mer, chaque été il se rend sur l’île d’Ischia, petite île italienne située au nord du golfe de Naples. Il préfère la solitude des journées de pêche, ou encore la pureté des heures écoulées à regarder les pêcheurs tirer sur les filets, à l’encombrement des bandes de jeunes. D’ailleurs, les autres garçons de l’île le méprise, il est même rué de coups qu’il encaisse sans chercher à se défendre.
« J’étais allé moi-même au-devant de ces coups, pour obliger mon corps à changer. »
Car l’été de ses dix ans, le corps du jeune Erri est emprisonné dans l’enfance, aux frontières d’un monde de grands qui lui est encore étranger. Il réalise avec douleur la vulnérabilité inhérente à ce qui nous est inconnu. Il prend aussi conscience de cette haine possible au coeur des humains, celle qui cache une fragilité plus grande encore que la peur. Cette tristesse comme une « contamination de nerfs étirés jusqu’à leur point de rupture et qui met du vinaigre dans les larmes. ».
Puis il apprend l’amour…
…d’abord à travers celui qu’il perçoit de ses parents, un amour difficile à comprendre et invisible à l’œil nu. Et puis celui des autres enfants de l’île, alors qu’ils découvriront les premiers émois d’un baiser ou les frissons d’une main fuyante de curiosité sur un territoire encore fragile. Mais un seul sera plus dense encore, parce qu’il ébranlera à la fois sa chair et ses émotions, et que les changements qu’il provoquera en lui bouleverseront sa vision du monde : celui de la fillette du Nord. Près d’elle il apprendra les battements du cœur. Et le sens du mot aimer…
« Ça a commencé par ma main, qui est tombée amoureuse de la tienne. Puis ça a été le tour des blessures, qui se sont mises à guérir très vite, le soir où tu es venue me voir et où tu m’as touché.
-Alors, tu aimes l’amour?
-Oui, mais c’est dangereux, il en sort des blessures. »
« Elle se détacha de mes lèvres avec un claquement. J’étais resté immobile à la regarder. « Mais toi tu ne fermes pas les yeux quand tu embrasses? … Les poissons ne ferment pas les yeux. » Les deux allongés sur le sable reprenaient leur souffle dans des geignements… »
« Ferme ces maudits yeux de poisson!
-Mais je ne peux pas. Si tu voyais ce que je vois, tu ne pourrais pas les fermer. »
Ce court roman est une pépite d’or où repose une enfance marquée par l’amour dans tout ce qu’il peut contenir de tristesse, de vibrations du cœur aux sentiments les plus vifs. Dans cette petite chambre de l’île d’Ischia, entouré des livres de son père, l’adulte raconte l’enfant de dix ans qu’il était, et combien ces livres lui ont appris le monde des grands...
« À travers les livres de mon père, j’apprenais à connaître les adultes de l’intérieur. Ils n’étaient pas les géants qu’ils croyaient être. C’étaient des enfants déformés par un corps encombrant. Ils étaient vulnérables, criminels, pathétiques et prévisibles… Ce qui me gênait le plus, c’était l’écart entre leurs phrases et les choses. Ils disaient, ne fût-ce qu’à eux-mêmes, des paroles qu’ils ne maintenaient pas. »
« Aucune habileté dans un domaine n’a pu corriger la conscience de l’insuffisance que j’ai de moi-même »
Cinquante ans se sont écoulés…
… et l’enfant né dans la période d’après-guerre nous livre un témoignage extrêmement touchant.
Les poissons ne ferment pas les yeux, une prose poétique d’une infinie douceur. Plus qu’un immense coup de cœur, ce roman est un chant d’amour <3 <3 <3
Je ne l’oublierai jamais…
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