« Je peux voir la canopée comme des vagues immobiles auxquelles seul le vent de la montagne donne une vie de mer sombre. Il traîne des brumes alanguies que le soleil levant finit toujours par enflammer. Au-delà, il y a un grand fleuve et bien au-delà la mer, la vraie, l’infinie, qui se dessine parfois comme un trait de lumière pour souligner l’indéfini du ciel. J’aime cet endroit comme une escale de paix. Je suis un égaré ayant décidé de se poser, de rester là dans chaque instant des souffles. J’apprends l’attente, celle de l’instant, celle de la pluie, des jours à venir, de la nuit, de la première étoile, celle du feu pour les repas et pour réchauffer les soirs. J’attends sans impatience, en vivant l’instant comme une éternité »
Il y a de ces voyages dont on ne voudrait jamais revenir. De ceux qui nous transportent sur des vagues d’émotions si fortes que l’on souhaiterait s’y enfermer pour vivre en cette apnée de l’instant qui ne fuit jamais. Chemin faisant, au cours de la traversée, il nous arrivera de nous perdre, malgré les repères et la force des souvenirs. J’ai aussi échoué sur des terres qui m’étaient inconnues, face contre vent, parce que comme Marc, Amélie, Michel, Marcia, Mama, Diego et tous les autres, je partais voyager au cœur de ma vie, à travers le désordre des émotions qui nous fragilisent et nous rendent plus forts encore, et auxquelles je cherchais à donner un sens. Cette valeur que l’on accorde aux événements qui ont tissé la toile de notre existence ou qui les auront aussi dénoués par petites touches de souffrances et d’envie. La route m’aura apprise à regarder droit devant sans ne jamais rien nier des odeurs du passé. À connaître le désarmement face au choc amoureux, à ressentir l’abandon des sens, laisser libre court à mes pensées et à me donner entière au nom de ces rencontres, qu’elles soient d’amitié ou d’amour. Après… est-ce qu’il y a plus beau voyage?
« Je regardais au loin la mer agitée. J’aime ce temps qui vous menace, vous provoque, boursouffle l’océan en une rage inutile mais belle »
À l’encontre des dames de nage, ces embouts de métal qui servent à fixer les rames d’une embarcation et permettre les mouvements du rameur, Marc voyage à travers ce perpétuel mouvement de recul propre aux gens qui refusent de s’engager. Il enracine ses rêves à des amours de ports, noyades en secousse aussi éphémères qu’une escale sans ancrage. Puis, avide d’imprévu, le marin reprend la mer, laissant derrière lui, sur le quai de ses envies faussement épanouies, quelques traces des soupirs que les femmes lui auront arrachés. Il n’aura jamais su s’amarrer…
Son seul port d’attache porte le nom d’Amélie, l’amour de ses sept ans. Elle avait deux fois son âge et gravé en lui cette brûlure du désir et la douleur de l’attente. Un premier amour aussi grand que peuvent laisser en nous ces frissons de jeunesse que l’on pleure toute sa vie ou que l’on regrette avec nostalgie. Jusqu’à rêver de poser sur ses seins tous les baisers qu’il avait gardés pour elle depuis l’enfance...
« Je l’ai aimée comme un enfant, comme un homme, comme je n’ai jamais plus aimé. Son corps était parfait et elle était ma lumière. Elle avait un grand cou pour poser des baisers et des cheveux blonds, doux, dans lesquels parfois, quand elle voulait bien, je cachais mon visage. Ses yeux me donnaient des frissons. Elle ne marchait pas, elle dansait. Un ange avec des seins comme des oiseaux. Je me suis barbouillé d’elle, insatiable »
Michel a voyagé sur d’autres rivages, les terres noires d’Afrique. À l’image de Marc, il est ce voyageur fatigué, insoumis aux règles du temps, incapable de s’ancrer et craignant d’aimer. Mais Mama, une magnifique Toucouleur lui apprendra l’amour et ses secrets, la peau lisse des femmes et l’odeur d’un parfum qui bouleverse les sens. Il n’avait que douze ans et déjà l’amour se vivait comme une évidence, un élan impatient dont il fallait vite remplir le vide. En lui offrant ses premiers soupirs de jouissance, elle lui enlèverait à la fois une part de l’essentiel, l’innocence. Et ferait de lui ce petit homme ayant grandi beaucoup trop vite. Puis, il y eut Maïmouna, belle, féline, désinvolte, inaccessible… Sous le tamarinier, elle lui parlera du vent. Fidèle, Michel aura passé sa vie à le poursuivre, jusqu’à l’épuisement…
« Mon amour est sauvage, multiple. Il est cette odeur délicieuse de l’attente, ce sanglot étonné, cette caresse chaude, cette silhouette au bord du fleuve. Il est ce vent insoumis, cette profondeur marine, une algue au plus fort du courant. Il n’a pas de nom, il est femme au large du quotidien, femme offerte et libre. Je l’ai vu en Orient derrière une lune de papier huilé, dans ce jardin clos où meurent les tourterelles, sur ce banc, où j’attends. Tout ceci jusqu’à Maïmouna, pour le pire »
Je suis ressortie de cette lecture profondément émue, si bien que j’arrive difficilement à en parler sans avoir le sentiment de minimiser la beauté des mots de Giraudeau. Il arrive avec tellement de sensibilité à nous livrer, dans une prose d’amour, ses passions les plus intimes : la mer, les voyages et la beauté des femmes. Arrière-petit-fils d'un cap-hornier, à seize ans il s'est engagé dans la Marine nationale et fait le tour du monde deux fois. À l’image de ses personnages, j’imagine sa jeunesse bouleversée par la sensualité et le goût du mystère. À travers quelques fragments de leur vie, il nous livre des instants de bonheur fragile, des passions, des fièvres, des réflexions, des déceptions aussi, des lâchetés, des peurs et des doutes. Tout ce qui contribue à rendre l’humain plus beau. Avec, en paysage de fond de cette mer qui vacille au gré des tempêtes, entre l’Afrique et le Chili, l’éternel déchirement de l’homme entre la quête et la paix, le désir et l’abandon…
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«Cap à l’ouest, le regard porté sur les vagues, les mains sur les femmes», un BISON imagine avec émotions les hauts plateaux d’Atacama où le soleil et le sel brûlent la peau, là-bas, au bout du monde, au pays de Coloane et Sepulveda…
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La Rochelle, mes 17 ans et cet amour de vacances… et s’il s’appelait Bernard? ;-)
Merci Bison de m’avoir permis de faire ce grand voyage...
« J’attends sans impatience, en vivant l’instant comme une éternité »
L'avis d'EEGUAB