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11 mars 2014 2 11 /03 /mars /2014 22:29

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« Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter. 

 

Marguerite Duras »

 

Cet extrait, tiré d’un roman de Marguerite Duras, figure en début de livre. Le roman lui-même en porte d’ailleurs le titre. Hum… Quatre phrases assassines qui en disaient déjà beaucoup sur les enjeux auxquels le lecteur serait confronté. Si cette auteure à la plume sublime (Duras), demeure l’une des plus grandes écrivaines de son temps, il n’en demeure pas moins que je reste peu étonnée de l’entendre prononcer ces quelques mots. Quelle femme désagréable était-elle, quand on regarde de plus près la nature de la relation qu’elle a entretenue avec Yann Andrea Steiner. Il m’est indéniable qu’elle devait elle-même être insupportable. Mais ne vous fourvoyez pas, je l’adore, littéralement parlant. Toutefois, par cet extrait, je me savais déjà soumise à des rapports tendus et douloureux, toujours à cent lieues du roman d’amour que je recherche désespérément. Ce court extrait mis à part, j’ai lu la quatrième de couverture, pour m’en donner une meilleure idée, voire motiver ma lecture. Je peux vous la transcrire ici, elle fait quatre lignes, elle aussi : « Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. L’homme est noir, la femme est blanche. Et alors? ». Voilà qui ne m’avançait guère plus, l’un comme l’autre prenant des directions diamétralement opposées. La meilleure chose à faire étant d’en juger par moi-même…    

 

En effet, l’homme est noir et la femme est blanche. Et alors? Présenté ainsi, on s’attendrait à un choc des cultures, à une forme de racisme à laquelle seraient soumis les amants. À un amour plus grand que tout, prêt à tout. Mais non… À part un bref épisode où le père de Solange, rencontrant pour la première fois Kouhouesso, fixe ce dernier avec stupeur en s’apercevant qu’il est noir, je n’ai pas vu. J’étais plutôt à rire de ce ridicule. On est loin de la période de l’esclavagisme, non? À moins qu’on soit encore aussi attardé? Bon, je n’ai pas compris la nécessité d’imposer cet enjeu alors qu’il sert davantage de prétexte à l’histoire que de finalité en soi. Finalement, ce roman n’est aucunement représenté correctement par la quatrième de couverture. Par contre, avec l’extrait de Duras, tout est là… Une femme, un homme et beaucoup de souffrances imposées par ce dernier…      

 

Kouhouesso est citoyen canadien né au Cameroun anglophone. Il vit à Los Angeles où il pratique le métier d’acteur. Un torse massif, des épaules larges sur un corps très long, il est représenté dans le livre telle une icône de la beauté masculine. Le type d’homme, comme le décrit Darrieussecq, qui déclenche « l’adoration, la peur et le manque ». Mais également l’archétype de l’homme égoïste qui parle beaucoup de lui et s’intéresse peu aux autres. Et par-dessus tout, qui offre beaucoup de promesses…

 

Solange en tombe amoureuse, d’un amour qui côtoie de près la folie. En peu de temps son cœur bascule dans les tourments de l’attente, des textos qui ne viennent pas, du vide. Il repousse ses caresses, lui laisse des messages ambigus, de rupture. Refuse la main qu’elle lui tend. Et puis, le grand silence… Jusqu’à deux mois sans nouvelles… Au bout de combien de temps se rompt un lien? Se dénoue une histoire? Elle ira dans son Afrique natale à la recherche d’un écho de ses origines, pour mieux le connaître. Jamais Solange, désespérée, ne renoncera.      


Oui, comme dirait Duras, il faut beaucoup aimer les hommes pour les aimer, dans un tel contexte. Et Darrieussecq, psychanalyste de profession, arrive à représenter cette souffrance de l’attente avec beaucoup de justesse. Certes, je n’aime pas son style littéraire écrit à la troisième personne et dépourvu de dialogues. Il faut dire aussi que je suis loin d’être une adepte du mouvement psychanalytique, qui transparaît, il faut bien le dire, de chacune des pages de ce roman, où l’on imagine aisément Solange sur le divan de sa psy. Néanmoins, elle sait parler de sentiments et nous faire vivre la chute de l’âme, de l’euphorie à l’effondrement. C’est déjà ça…      

 

Bla Bla Bla !!!!!!...................

 

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23 février 2014 7 23 /02 /février /2014 22:47

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« Jamais je n’ai eu sous les yeux une partition aussi complexe et délicate que la membrure de Clara Werner. Son corps mérite de l’inédit, un mouvement singulier pour main seule, une main qui improvise, une main qui apprivoise » 


Ça y est, je l’ai trouvé, enfin, et je le tiens entre mes mains… C’est ce que je me suis dite en découvrant ce petit livre de Fottorino, soulagée d’avoir repéré le roman qui offrirait à mes sens cette idée d’avoir déjà vécu ma vie, littéralement parlant, d’en avoir éprouvé les plus belles sensations d’amour. Et puis, au final, l’auteur n’est pas allé au seuil des émotions pures. Il s’est arrêté quelque part, alors que je croyais tenir à bout de doigts la promesse du sublime. Tout était là, pourtant. Les blessures d’une femme et les mains d’un homme, pour redonner vie à ce territoire intime et profondément fracassé.  

 

Clara est biologiste. Elle fuira Fès, à l’âge de 23 ans, pour rejoindre l’Institut Océanique de Norvège, dans l’espoir d’une vie meilleure. Elle prendra surtout la fuite d’un mariage raté durant lequel elle sera victime de violence, de séquestration, des pires humiliations. Et son corps se souviendra, il portera les traces de la haine, du manque d’amour, d’une douleur sourde, du regret et du renoncement, aussi. Il sera en mille morceaux lorsqu’elle arrivera à Bergen, couverte d’eczéma. C’est ainsi qu’elle punira son corps du bien-être qu’il éprouve… 


« J’ai l’impression que l’accordeur a repéré une trace sur mon bras. Ses mains me font peur. S’il me touche, il va s’apercevoir que mon corps est en mille morceaux. Ou qu’il n’existe pas. Et s’il réveille ma première peau, ma peau d’avant les coups de minuit, ce sera pire encore. Il verra l’empreinte de ma mère… qui ne m’a rien donné, sinon la vie…»


Lui, on le surnomme « l’accordeur de corps ». Ce qu’il accorde aussi et surtout, c’est la confiance à ceux ou celles qui l’ont perdue. Du bout des doigts, il ressent le chaos sonore des corps meurtris, la souffrance palpable des tissus abîmés. Et le hasard les mettra l’un l’autre sur le même chemin. Avec ses mains aimantes et douces, il l’aidera à retrouver ce qu’elle est, à lui redonner cette part de valeur qui lui revient, en tant que femme. Il fermera les yeux, pour mieux la ressentir, pour lui faire découvrir les limites de son corps, les fissures, les traumatismes. Pour atteindre l’intérieur de ses frontières intimes. Il sera son ultime pourvoyeur de caresses. Mais il faudra beaucoup de temps pour accorder le corps d’une femme qui ne s’aime plus…

 

« Je suis un accordeur de corps. J’accorde les muscles et les vertèbres comme un guérisseur de piano rend leur souplesse aux cordes martelées de la table d’harmonie. C’est toute ma vie, accorder. Au fond, je ne connais pas d’oeuvre plus humaine ». 


L’histoire en soi se laissait savourer, à rythme lent, jusqu’à l’arrivée d’un troisième personnage, peintre. Il posera un regard sur les souffrances de Clara, là où l’accordeur de corps y aura posé ses mains. Ce personnage n’ajoutera rien à l’histoire, sinon qu’il tentera de redonner confiance à Clara en éveillant sa beauté. Je n’ai pas saisi les motivations de l’auteur à ce sujet. Autrement, les images sont magnifiques, j’ai surligné plusieurs passages au fil de ma lecture. Certains symboles sont aussi très forts. Mais il manquait un je ne sais quoi dans l’élaboration des sentiments. Pas que je me sois attendue à des ébats amoureux à ne plus finir, mais certainement à une reconnaissance des gestes posés, en retour. C’est donc la finalité qui m’a laissée sur ma soif, toujours à l'affût d’un certain éveil chez Clara. Aussi respectueusement que ses mains caressaient son corps, jamais n’est exprimé le bien-être profond qu’elles ont sur le grain de sa peau. Le territoire est fragile, certes, mais la reconstruction de l’âme est aussi possible. C’est ma seule déception…    

19 février 2014 3 19 /02 /février /2014 00:35

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« Le vent ne vient de rien et nulle part ne va, il passe »

 

L’univers de Damasio est vaste et riche, et la force de son imaginaire d’une créativité hors du commun. Il arrive à transposer les mots en images avec un génie de l’art descriptif à vous couper le souffle, sans vouloir jouer sur les mots. Car de vent il est question, dans ce superbe roman. Mais pas n’importe lequel…

 

Ils sont 23, hommes, femmes, scribe, pilier, troubadour, sourcière, braconnier du ciel et j’en passe, et sont de la 34ième « horde du contrevent ». Ils marcheront durant plus de 30 ans avec acharnement, conviction, courage, intelligence, sans répit, affrontant les vents les plus dévastateurs. Des vents mordants, voire mortels, à moins deux cents degrés, le corps vitrifié, telles des griffes qui vous lacèrent la peau jusqu’à l’âme. Ils suffoqueront jusqu’à se cracher les poumons. Et nous souffrirons tout autant qu’eux, grâce à ce génie qu’a l’auteur à nous faire ressentir la fragilité derrière les épreuves avec tant de précision. Ils avanceront en position groupée, en delta, en forme de goutte d’eau, en diamant, en cône, car le code numéro un de la horde est le suivant : seul le corps peut contrer le vent. Cette hiérarchie des corps leur conférera une force, une confiance. L’espoir vissé au ventre, ils n’auront qu’un seul objectif, atteindre le bout de la Terre, l’Extrême-Amont, et découvrir l’origine du vent. Et de cette quête, affronter leur destin…

 

La poésie est au centre de ce roman et m’a profondément émue. Si l’histoire en soi est un grand poème, de même que les lieux, car n’est-il pas poétique de rechercher le vent, des métaphores sublimes recouvrent les mots d’un voile d’une infinie douceur. Je repense à ce passage, notamment : « je cherche Aoi, ma petite goutte, tellement légère, chancelante de pluie…». Ou à ceux-là : « Bruissant est le sable », « Dans le rideau du ciel »… Je n’oublie pas non plus les images magnifiques, telles ces méduses qui tombent du ciel et les maisons en forme de goutte d’eau. Et puis, il y a ce septième art, échappé de la plume de Damasio, celui de jouer avec les mots avec tant de magie, car de deux mots jumelés en naîtra un seul : pharéole (phare – Éole – phare dans le ciel), fréole (frégate – Éole – navire du ciel), etc…

 

Outre cette gamme d’émotions qu’il arrive finement à nous transmettre, l’auteur est d’un humour stupéfiant. Golgoth, le Traceur de la horde, de par son personnage dur, au langage cru et non affiné (il m’a fait rire celui-là!), offre un contraste déconcertant avec la poésie de l’ensemble. Il émet ainsi une dualité des sensations, des ressentis… Émanent aussi de ce roman de fortes réflexions philosophiques, des passages extrêmement touchants et une complicité émouvante des personnages. Complicité d’amitié, d’amour aussi…

 

Et puis, il y a les « chrones » (Chronos, Dieu du Temps et de la Destinée), ces entités présentées sous plusieurs formes, et qui sont propres à l’univers de Damasio. 700 pages seront parvenues à me les imaginer, telles des formes de silence qui dérivent, mais toujours abstraitement, c’est pourquoi je joins ici un lien qui vous les fera mieux connaître : http://mushin.fr/les-chrones-dapres-alain-damasio/.

 

C’est donc un très beau roman, dense, complexe, émouvant. La présentation des personnages sous forme de symboles, à chaque chapitre, peut en décourager dès le départ plus d’un. Mais une fois les premières pages franchies, on ne peut que difficilement le lâcher…

16 janvier 2014 4 16 /01 /janvier /2014 22:17

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On m’a offert ce livre et j’ai eu un immense plaisir à le parcourir. Ce fut la découverte non seulement d’un auteur, mais d’un univers auquel il me tardait chaque fois de revenir. Un médecin se fait kidnapper et se réveille dans le désert africain entouré d’un groupuscule de médecins humanitaires anarchistes. Ses ravisseurs, aux méthodes terroristes, ont pour tête dirigeante une dénommée Dziiva. Pourquoi ce kidnapping? Un moyen de pression et de vengeance sur les nantis de l’Occident. Par l’entremise de ses deux protagonistes (Dziiya et le kidnappé), deux mondes s’opposeront : les pays industrialisés (sous la forme futuriste du monde spatial) et le tiers-monde (désert africain). À mon sens, la force de ce roman repose sur la richesse des dialogues philosophiques entre ces deux personnages qui sont autant de représentations de la privation de liberté, du libre choix, de la conscience humanitaire et de l’altruisme.   

 

Dziiva, la plus revendicatrice des deux, critiquera le gouffre économique causé par la spatialisation. L’aide et la conscience humanitaires qui se seront éteintes par le même phénomène. Elle décrira avec un impressionnant doigté la spirale hiérarchique de l’altruisme. À commencer par « charité bien ordonnée commence par soi-même »… Elle cherchera à inverser les priorités pour d’abord nourrir les affamés, soigner les malades et loger les sans-abri. Mais elle ne manquera pas de rappeler que cette initiative impliquerait d’enrayer l’égoïsme, la quête de privilèges, la notion de profit ou de puissance. C’est donc un roman fort en réflexions sur le monde industrialisé.

 

Le titre tire son origine de la démarche sous-jacente à toute cette entreprise : terraformer le désert, c’est-à-dire transformer son environnement naturel afin de le rendre habitable. Même si j’arrivais à en déduire le sens, ce mot m’était alors inconnu. Après quelques recherches, j’ai lu quelque part que la « terraformation » est un terme de science-fiction qui a été popularisé par l’auteur américain Jack Williamson. Forts de cette information, vous vous demanderez sans doute si notre kidnappé, fraîchement débarqué dans ce désert africain, arrivera à reconnaître les failles de son système qui privilégie les plus nantis au profit des pauvres… Pour le savoir, il faut le lire…

 

On dit d’Ayerdhal qu’il est un homme engagé, et je n’ai aucun mal à le croire. Chaque grain de ce désert est l’empreinte vivante de ses idéologies. Je remercie l’acteur de ce présent qui m’a amenée à découvrir un auteur remarquable, riche de profondeur humaine et d’imagination…

27 août 2013 2 27 /08 /août /2013 15:05

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C’est la mort d’Henri Morgentaler, en mai dernier, qui m’a ramenée plusieurs années en arrière, à la lecture de « L’événement ». Ce médecin était le porte-étendard de la lutte des femmes pour l’avortement. Polonais d’origine et ancien rescapé de Dachau, il a consacré sa vie à la pratique clandestine de l’IVG (interruption volontaire de grossesse), soutenant que sa philosophie de l’acte n’était rien de moins qu’une lutte pour la justice et la dignité des femmes. Peu d’hommes, aussi idéalistes soient-ils, ont pris autant de risques pour le droit des femmes. S’il a évidemment été extrêmement contesté par les forces réactionnaires, Morgentaler a fait preuve d’un courage sans nom dans la défense de ses convictions, jusqu’à sacrifier 10 mois de sa vie dans une prison de Montréal pour avoir usé de cette pratique clandestinement… 

 

Si Annie Ernaux, dans « L’événement », s’est affranchie par les mots d’un lourd fardeau, elle a aussi eu la force de s’élever au-delà des préjugés pour s’affirmer, non seulement dans ses croyances, mais aussi dans la lutte d’un sujet fort controversé. Elle nous raconte dignement ici son avortement, à l’âge de 23 ans et en plein cœur des années 60 alors que l’IVG est à cette époque en France sévèrement punie par la loi. Il s’agit ainsi d’une autobiographie sur cet épisode marquant de sa vie, pour lequel elle se donne le droit imprescriptible d’écrire, l’ayant vécu et jugeant qu’il n’y a aucune vérité inférieure.

 

Annie Ernaux est une authentique. Elle s’approche de la réalité avec tant de finesse et de naturel que nous nous sentons submergées par son vécu. En plus de briser les chaînes de la culpabilité, par les mots, elle a fait de la violence vécue une victoire individuelle. Avec courage, elle affirmera : «ce qui poussait en moi c’était, d’une certaine manière, l’échec social.» Je dirais, pour ma part, que l’échec social est également la part d’aveuglement d’une société incapable d’envisager de manière réaliste la condition reproductive des femmes. Malgré la culpabilité et la crainte, elle a vécu son avortement comme une libération extraordinaire. De cette expérience simultanée de la vie et de la mort, elle s’est sentie naître et mourir à la fois d’une mère trop présente. Elle exprimera de manière assez touchante : « Je sais aujourd'hui qu'il me fallait cette épreuve et ce sacrifice pour désirer avoir des enfants. Pour accepter cette violence de la reproduction dans mon corps et devenir à mon tour lieu de passage des générations ». Ces quelques mots en disent long sur l’acceptation de son geste…

 

Ce court récit a aussi éveillé en moi un certain nombre de réflexions. Il eut été difficile pour l’auteure de partager un vécu aussi intime sans qu’en résultent maints questionnements sur la condition féminine de l’époque. Elle ne manque pas de rappeler que sa pensée s’affilie au dogme proférant que les différences entre les sexes sont socialement construites. Et rappelons-le, cette philosophie de base est née chez Simone de Beauvoir qui affirmait qu’« on ne naît pas femme, on le devient ». S’ajoute à ses réflexions le pouvoir de vie et de mort qu’ont les femmes, et qui ont paradoxalement fait d’elles l’objet d’une domination masculine à plusieurs niveaux. En allant au bout de son avortement, elle dit avoir ainsi marqué la seule différence indiscutable entre les sexes. Elle rappelle également que si le sexe se passe de reproduction, l’inverse n’en demeure pas moins assez exceptionnel. Les tests de dépistage du sida s’ajoutent au processus pour en accentuer la peur. Car si certaines femmes ont non seulement eu à subir un avortement, elles vivent également dans la crainte d’être contaminées.

 

Finalement, je vous laisserai sur ses mots : « Il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi. » Quant à moi, qui peut juger de l’honorabilité d’un acte qu’il n’a pas eu lui-même à affronter? Au nom de quoi certaines personnes se donnent-elles le droit de disposer du corps d’autrui? En prônant haut et fort que l’IVG est un crime, on contribue à mon sens à souiller la blessure déjà existante et à exercer un droit sur la plus intime des valeurs : la dignité. C’est ce qu’Annie Ernaux s’est à mon sens efforcée de transmettre…

3 juin 2013 1 03 /06 /juin /2013 17:41

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J'entends déjà d'ici certaines personnes me reprocher d'avoir durement évalué cet ouvrage de Giono. Je ne vous cacherai pas que j'avais de grandes attentes, et je le dis d'emblée, je crois néanmoins que c'est un très beau roman. Toutefois, la surabondance de détails environnants m’a profondément agacée, même si, paradoxalement, c'est ce qui fait le génie de cette œuvre littéraire. Ceux ou celles qui me connaissent auront déjà compris que je me lasse très vite de ce genre de lecture contemplative.

 

Deux personnages principaux habitent les pages de ce livre et s'opposent diamétralement. Antonio, l'homme du fleuve, et le Matelot, l'homme de la forêt. Au fil de ces 280 pages, ils remonteront le fleuve à la recherche d'un disparu. Ils feront la rencontre d'un monde nouveau, non seulement en ces personnes qu'ils croiseront, mais surtout à travers la description du fleuve qui s'écoule, du chant des arbres, des herbes noires pleines de pluie, des «villages collés au sommet des rochers comme des gâteaux de miel»...  Ce «Chant du monde», c'est la beauté qui émane de l'union entre le fleuve et la forêt, métaphore de l'association entre les deux personnages principaux. À travers le fruit de cette alliance, nous serons amenés à nous questionner sur la nature des choses qui nous entourent, matérielles ou non, sur le sens de la vie et les substances vitales essentielles. Et c'est en parcourant ce chant de la nature, parfois calme, parfois agité que nous nous arrêterons pour entreprendre une véritable méditation philosophique par la lecture d'une allégorie profonde et douce...

14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 12:30

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Il arrive parfois qu'un livre tombe à point et permette à son lecteur d'entrer dans un moment de grâce même si, dans les faits, il vit un épisode éprouvant. Je ne saurais jamais assez remercier Claudie Gallay d'avoir fait de ce roman le livre culte m'ayant accompagné dans l'une des périodes les plus importantes de ma vie. Quand je l'ai lu il y a quelques années, chacune des phrases qui en découlait m'était telle une caresse apportée par la vague. De chaque page s'écoulait la texture rassurante et chaude du sable, celui dans lequel il fait si bon se plonger les pieds au soleil. Les déferlantes était mon rendez-vous quotidien avec la vie. J'aurai certainement de la difficulté à demeurer objective (en fait le suis-je jamais!?) puisque ce roman est intimement lié à des émotions intenses.

 

L'histoire se déroule à La Hague, à la pointe du Cotentin. Le lieu est sauvage et la force de la nature violente, ce qui, étonnamment, ne diminue en rien, bien au contraire, la chaleur du roman. Une étrange dualité s'installe entre ces deux mouvements, dualité qui nous consomme et finit par nous habiter. C'est ainsi que débute l'histoire, un jour de tempête. L'atmosphère est teintée de quelques maisons, de falaises, d'une plage, d'un phare et d'un petit restaurant de bord de mer. On s'y sent bien...

 

À mon sens, la richesse du roman réside dans la densité de ses personnages. Il y a Lambert, cet homme tourmenté et mystérieux, auquel je me suis vite attachée. Puis Théo, Morgane, Lili et bien d'autres. La force qui les unie est complexe. Le mystère qui les entoure ne nous quitte jamais. Les personnages sont constamment tiraillés entre le besoin de solitude et celui du partage. Les dialogues sont forts, troublants. Ils ont tous un rapport à ce lieu, énigmatique ou nostalgique. Le point d'ancrage est le deuil et les émotions qui en résultent sont variées : douleur, amour, haine, colère ... La recherche d'un passé ausculte chaque seconde de l'instant présent.

 

L'auteure fait preuve de retenue et de discrétion. Le roman évolue lentement, au rythme d'une musique qui permet de savourer les embruns de chaque note. Qu'il était bon de le retrouver avant d'éteindre la lumière ...

16 octobre 2012 2 16 /10 /octobre /2012 22:46

Quelqu'un d'autre

 

Qui n'a jamais rêvé de devenir quelqu'un d'autre? C'est la question à laquelle nous soumet Benacquista dans ce roman philosophique teinté d'humour noir. Deux hommes, se rencontrant par hasard, feront le pari de devenir ce quelqu'un d'autre et de se retrouver, trois ans plus tard, dans la peau de cet autre.


Thierry, 39 ans et marié, est propriétaire d'une boutique d'encadrement. Bien qu'ayant une haute estime de lui, il doute sans cesse de ses choix professionnels et reviennent le hanter continuellement ses fantasmes de jeunesse. Il est agile, blagueur, aimable, tout lui réussit. Pour sa part, Nicolas, 40 ans, est habité de sentiments noirs. C'est un anxieux, un malheureux chronique, un pessimiste, un paresseux et j'en passe. Il affirmera avec lassitude que « Chaque matin, le retour à la vie est une mauvaise nouvelle qu'il faut finir par accepter ».


Mille choses sont possibles pour tourner la page et en ouvrir une autre. Les personnages prendront des moyens de toutes sortes, des plus subtils aux plus pernicieux. Le danger sera de se perdre dans des contrées dont il est impossible de revenir. Est-ce que ça en vaut le prix? L'auteur prend pour point de départ une pensée quasi universelle qui réside dans la chronicité de l'insatisfaction humaine, l'incapacité de vivre au quotidien sans poser le regard sur les acquis de l'autre. Il faut chercher à se dépasser, à commencer par surmonter nos peurs paralysantes. Nous avons en nous ce qu'il faut pour « être » et l'être avec unicité. Il faut saisir en soi les richesses de nos personnalités propres et pousser ces forces jusqu'au surpassement de soi-même, non pas les laisser nous mener vers de quelconques illusions.


Il est à peu près impossible de lire ce roman sans se questionner sur nos propres motivations. Le déroulement de l'histoire prend une tournure extrêmement inusitée par moments, ce qui contribue à véhiculer le message avec plus d'ampleur. Mais ne suffit-il pas, justement, d'une bonne dose de démesure pour mieux voir à travers les processus inconscients à la source de nos modes de fonctionnement? Quoi qu'il en soit, Benacquista y arrive avec finesse et originalité. Je découvre l'auteur sous une autre plume que celle de « Saga », ici plus dense et plus philosophique. J'ai adoré...

11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 00:16

L'amant (2)

 

Ce petit roman autobiographique relate le premier amour de l'auteure ; un amour tortueux, douloureux, impossible... L'histoire se déroule à Saïgon, à proximité du Mékong. Il est Chinois et a le double de son âge ; il risque la prison. Elle est française et a à peine 15 ans. Mais au-delà de l'âge, son père refusera le mariage de son fils avec la «petite prostituée blanche», ce serait un déshonneur. Ils ne parleront ainsi jamais d'avenir et il lui dira d'emblée qu'il n'a pas la force de l'aimer contre son père, de la prendre et de l'emmener. Pourtant, il en est fou d'amour...


Leurs rencontres seront douloureuses. Il souffrira d'autant l'aimer, pleurera quand ils feront l'amour et dira qu'il est dans un amour abominable. Elle se montrera froide, dépourvue d'affect. Mais en fait, elle ne portera en elle que les stigmates d'une enfance traumatisante. Lorsqu'elle s'offrira à lui, elle dira que «les baisers sur le corps font pleurer, qu'ils consolent». Elle n'a pas appris les touchers qui réconfortent.


Si l'amour occupe une place importante dans le roman, l'histoire d'une famille pathologique constituera à mon sens le cœur de ces pages. Elle a grandi auprès d'une mère dépressive, désespérée, imprudente, inconséquente, irresponsable... Une mère qui, aux moments de crises, se jette sur elle, la bat à coups de poing, l'enferme dans sa chambre. Une mère jalouse, qui lui fera honte et qu'elle décrira ainsi: «Elle marche de travers, ses cheveux sont tirés, vêtue de grisaille comme une défroquée. Elle me fait honte, tout le monde la regarde, elle, elle ne s'aperçoit de rien, jamais, elle est à enfermer, à battre, à tuer». Cette mère entretiendra avec ses enfants un lien dépourvu d'autorité ; les rôles seront inversés. Elle viendra la nuit se blottir contre eux pour soulager la peur. Marguerite se fera la réflexion qu'avec sa mère, «ce n'est pas qu'il faut arriver quelque part, c'est qu'il faut sortir de là où l'on est». Chaque jour est un combat, il faut se battre et survivre. Et pourtant, elle ne prévoyait pas ce qu'elle est devenue à partir du spectacle de son désespoir...


Pour ajouter à cette histoire familiale en ruine, elle n'a que peu connu son père, mort très tôt. Quant à ses deux frères, l'un sera violent, violeur et méprisable. L'autre mourra d'une pneumonie. Elle parlera d'elle-même avec dureté et irrévérence. Estimera qu'à 15 ans, «son visage est parti dans une autre direction, qu'il a été dévasté». «J'avais à 15 ans le visage de la jouissance et je ne connaissais pas la jouissance. Tout a commencé de cette façon pour moi, par ce visage voyant, exténué, ces yeux cernés en avance sur le temps. J'étais triste. J'avais peur de moi, j'avais peur de Dieu, et quand c'était le jour, j'avais moins peur et moins grave apparaissait la mort. Mais elle ne me quittait pas».


J'ai lu quelque part que peu avant la parution de ce roman, Marguerite Duras sortait d'une longue cure de désintoxication. Ce recul évident sur les événements de sa vie ne peut qu'en être empreint. Ce livre est assurément touchant, il m'a profondément perturbée. Elle nous raconte sa jeunesse avec une telle franchise, un tel sang froid... Une jeunesse marquée par la violence, le désarroi et la tristesse. Je lirai un jour «Yann Andréa Steiner», ce roman écrit pour son dernier amant. Au jour de sa mort, à l'âge de 81 ans, Marguerite laissait Andrea dans le deuil, alors qu'il n'avait que 43 ans. Mais avant cette lecture, il me faut assurément m'affranchir de celle-ci...

 

L'amant

28 septembre 2012 5 28 /09 /septembre /2012 12:21

La grammaire est une chanson douce

 

J'ai trouvé ce tout petit livre par hasard, chez un bouquiniste de l'Outaouais. Je n'avais plus rien à me mettre sous les yeux, alors j'ai «fouillé», me laissant aller à mes ressentis. J'aime tant parcourir les rayons ainsi, sans avoir au préalable de titre en tête, ce à quoi je me suis laissée aller trop peu souvent. Donc je ne cherchais rien de précis... Et mon regard a croisé le titre de ce roman à l'évocation si belle et poétique. Mais, quand j'ai vu qu'il avait été écrit par un académicien, je l'ai reposé. J'ai horreur généralement de ce genre de livre, que je classe dans la même catégorie que les prix Goncourt. Non seulement ils m'ennuient, mais en plus je les trouve prétentieux. Et pourtant, chaque fois mon regard y revenait, appuyé, de surcroît, par la quatrième de couverture. Alors je l'ai acheté... Je ne me lançais pas dans une grande aventure, le livre fait 150 pages et est écrit en gros caractères! Mais quand même, je suis allée au bout de mes préjugés...


Jeanne et son frère Thomas font naufrage au large d'un archipel imaginaire où des lettres de Scrabble flottent sur les eaux. Comme chaque naufragé de l'île, ils y arrivent muets, la tempête ayant arraché tous leurs mots. Les personnages de ce roman sont des verbes, des noms, des pronoms, des adjectifs, des articles... Et ils tombent malades, en plus d'avoir des sentiments. Tantôt maltraités, tantôt répétés sans cesse et usés, appauvris et massacrés, ils gisent sur des lits de fortune dans un hôpital surchargé de patients.


Ce roman, représenté sous forme allégorique, porte non seulement sur la relation d'amour entre l'écrivain et ses mots, mais d'abord et avant tout sur l'importance de préserver la justesse de la langue. Sans oublier, bien sûr, d'apprendre à relever les défis de la grammaire, des exceptions et des accords. L'auteur dira: «Les mots c'est comme les notes. Il ne suffit pas de les accumuler. Sans règles, pas d'harmonie. Pas de musique. Rien que des bruits. La musique a besoin de solfège, comme la parole a besoin de grammaire». Jeanne et Thomas prendront donc conscience du fait qu'avec les mots nous ne sommes jamais seuls. Nous nous enrichissons d'un trésor inestimable dont trop d'hommes sont appauvris et limités. Des forces destructrices et protagonistes, telles que la peur, la paresse et l'indifférence, chercheront sans cesse à nuire au savoir. Et il faudra à chaque instant s'en préserver...


Je ne peux pas dire que c'est le genre de lecture qui me permet de beaucoup m'évader, et je n'aurais pas lu 100 pages de plus. Évidemment, ce n'est pas un polar ni un roman à la psychologie fine qui pousse à de belles réflexions sur l'âme humaine et dont les dialogues sont d'une richesse émouvante. Mais j'ai aimé l'idée originale de la présentation, d'autant plus que la langue française me tient à cœur. Et surtout, je l'ai lu jusqu'au dernier mot:)

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