À toi, Paul…
« Ici on vit dans l’immédiat, au jour le jour ».
« Persécutée et impuissante, l’Afrique a été dépeuplée, détruite, ruinée. Des territoires entiers du continent ont été dévastés, la brousse stérile a envahi des terres florissantes et ensoleillées. Mais c’est dans la mémoire et la conscience des Africains que cette époque a laissé les stigmates les plus douloureux et les plus durables : ces siècles de mépris, d’humiliation et de souffrances ont fait naître en eux un complexe d’infériorité et ont ancré quelque part au fond de leur cœur un profond sentiment d’injustice. »
Avec ce livre, je viens de vivre l’Afrique à travers le regard d’un homme qui a consacré à ce peuple la majeure partie de sa vie. Journaliste polonais et correspondant permanent en Afrique, Kapuscinski a parcouru tout le continent africain et habité auprès de ces hommes auxquels il vouait une réelle fascination. Initialement, j’ai craint la lecture d’un ouvrage universitaire rigide et plat, je m’y serais vraiment ennuyée et le but de lire, à mes yeux, est avant tout de s’évader. Mais, heureusement, son style littéraire est resté à l’image de l’homme dont les convictions profondes étaient de vivre auprès d’eux, non pas dans les palais, mais sur la terre battue : « Je préfère vivre dans la ville africaine, dans la rue africaine, dans une maison africaine. Comment connaître autrement ce continent? ». L’auteur a contracté la malaria et la tuberculose, lutté contre la famine, côtoyé les moustiques et les araignées (il a tout mon respect). Donc soyons honnête, si ce livre ne rayonne pas par la beauté de son écriture, encore moins par ses images poétiques, il se démarque par sa véracité, son authenticité. C’eut été déplacé d’en être autrement, dans le contexte d’un continent en partie ravagé par la famine.
On tourne plutôt les pages au rythme des traditions vivantes, de l’odeur du manioc et de la mangue sauvage, du bruit des tam-tams, des autocars bariolés de dessins aux couleurs vives, des terres en friche, de la famille élargie, du clan, de l’offrande aux ancêtres et d’une notion du temps décalée de la nôtre. On tourne les pages, fascinés par ces vies intérieures imprégnées d’une profonde religiosité. On les tourne le cœur sensible aux notions de colonialisme, d’esclavagisme, de panafricanisme, d’apartheid et de totalitarisme. Puis au final, on en referme les pages sur une sensation de soif dans la gorge et d’une chaleur insupportable qui vous traverse tout le corps. Maintenant, sortons un peu de nos tours d’ivoire. Ce livre est dérangeant et c’est justement pour cette raison qu’il devrait être lu. Je crois qu’à travers lui, j’ai aussi vécu le voyage humanitaire tant rêvé auquel je n’ai pas encore renoncé. Merci à toi Paul… J’ai compris, avec ce roman dont tu m’as tant parlé, tes années en terre africaine et l’odeur des parois de ces huttes que tu me feras découvrir un jour. J’ai déjà un peu l’impression d’y être, en mission avec toi…
Si vous avez envie d’un excellent film, mais très dur, je vous conseille « Rebelle », du réalisateur québécois Kim Nguyen. On y parle des enfants soldats en Afrique… C’est ici :
