Jusqu’à quel point est-il possible de mourir à cause des mots, pour les vers d’un poème?
« S’en vient le soir
Qui pose sa capuche
Emplie d’ombre
Sur toute chose,
Tombe le silence »
Bardur et un groupe de pêcheurs islandais s’étaient rendus au baraquement juste avant la nuit. Ils s’étaient assurés de bien appâter les lignes, de prendre avec eux vareuses, chandails et bonnets de laine. Mais le froid glacial de mars ne pardonne pas, il vous transperce avant de vous faire mourir à petit feu. Sur les eaux glacées du froid polaire, une simple barque de pêcheurs est un mince refuge face aux vents violents du Nord, surtout quand la tempête se lève et que le ciel déverse sa colère. Que la rage des vagues vous submerge et que vos pieds sont mouillés. Que vous ne savez pas nager. Et que vous avez oublié votre vareuse, comme Bardur, parce que les vers du Paradis perdu de Milton, le poète aveugle, se sont insérés dans les fissures de votre âme, plus forts encore que votre instinct de survie.
« Il est des poèmes qui changent votre journée, votre nuit, votre vie. Il en est qui vous mènent à l’oubli, vous oubliez votre tristesse, votre désespoir, votre vareuse, le froid s’approche de vous… »
Peut-on seulement s’imaginer jusqu’à quel point les mots sont assez puissants pour toucher le cœur des hommes et changer le cours d’une vie? Bardur est mort en mer par un jour de tempête. Son meilleur ami, le gamin, a tenté de réchauffer ses membres qui s’engourdissaient en lui frappant le corps. La peur s’est installée, les forces lui ont manquées, il s’est recroquevillé au fond de la barque et s’est laissé mourir de froid. La vie n’a pas tenu le coup face aux rimes…
« Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. »
Enfoncé dans la neige jusqu’aux genoux, submergé par l’incertitude et anesthésié par la peine, le gamin entreprend un voyage pour rendre à son propriétaire le recueil de poèmes qui a donné la mort à son ami. Après, il aura tout le temps de décider s’il veut vivre ou non…
Comme lectrice affamée de nature, c’est au moment de la traversée que j’ai revécu l’Islande des glaciers, celle que j’ai l’impression de toucher encore du bout de mes doigts. Celle des fjords et des vallées, des falaises qui surplombent la mer, celle des volcans, des cratères, des chutes et des grandes étendues de terre. Celle du sommet des montagnes dans le lit des nuages, là où se perd la ligne d’horizon et où le monde prend fin. Je n’ai « jamais été aussi près du ciel » que dans ce 66ème parallèle nord. Les paysages de l’Islande sont une incitation à devenir poète, à réciter Le Paradis perdu de Milton…
« Celui qui marche un long moment seul dans une tempête de neige qui jamais ne retombe est peu à peu saisi de l’impression qu’il est sorti du monde, qu’il avance dans un désert loin des hommes. »
Jon Kalman Stefansson est un magicien des mots. Ses réflexions sur la vie et la mort nous amènent à nous questionner sur l’existence ; son but et ses fondements, ce que nous laissons derrière nous une fois partis. Rien ne peut égaler en souffrance la cruauté des hommes, ni leur mépris, encore moins leur lâcheté. Ce monde dans lequel nous vivons nous confronte sans cesse à l’ « autre », et à l’image d’une nature où les éléments se déchaînent, nous sommes bien petits face à la menace. Mais les forces de l’amour et de l’amitié seront toujours vainqueurs. Dans le poids de l’absence, elles triomphent du vide et de la solitude. Peut-être en partie parce qu’elles nous renvoient le symbole de notre propre liberté…
« Les rêves nous libèrent parfois des amarres de la vie. Ils sont tel un soleil dans les coulisses du monde. »
Un immense merci à toi ma précieuse Lili de m'avoir fait découvrir ce grand auteur, et par le fait même d'être retournée voyager avec toi au pays des fuzzy... :-*
Les magnifiques billets de Nadège et Eeguab
Et celui du Bison, tout aussi MAGNIFIQUE!