« Rien ne viendra à bout de moi… Le soleil peut bien tuer tous les lézards des collines, je tiendrai. Il y a trop longtemps que j’attends… La terre peut siffler et mes cheveux s’enflammer, je suis en route et j’irai jusqu’au bout »
Ce roman est une brûlure vive, cette brûlure à laquelle aucun Scorta ne peut échapper. C’est le feu dans lequel ils s’immolent depuis des générations, marchant sur des terres d’Italie aussi arides que l’enfer auquel ils sont condamnés. C’est l’acharnement des rayons qui rendent fous, tout en laissant sur la peau l’empreinte d’une odeur consumée. Mais c’est aussi la lueur vive qui les éclaire les uns les autres dans les épreuves, pour le meilleur et pour le pire. Quand on est un Scorta, rien ne nous sépare, encore moins la blessure du Soleil…
Plus qu’une brûlure, ce roman est la quête existentielle d’une famille frappée par la malédiction. Le sang de Luciano Mascalzone coule en eux et souille les générations futures. Il sera de retour à Montepuccio après quinze ans de prison et fera naître le premier de la lignée des Scorta, Rocco Mascalzone-Scorta. Un escroc à l’image des bandits de films italiens qui inspirent la terreur et paradoxalement le respect qui en découle. Qu’il ait tué, violenté, pillé ou saccagé, les gens du village entretiennent à son égard un mélange de crainte, de fierté et de mépris.
Plus encore qu’une quête, c’est l’histoire de Giuseppe, Domenico, Carmela, Raffaelle et de tous les autres, enfants et petits-enfants Scorta, vivant dans la misère et soudés dans les épreuves. C’est un bureau de tabac, une vie de sueur et de fumée, leur plus précieux héritage. C’est une mère que ses enfants déterrent de la fosse commune pour l’enterrer là où ils pourront honorer dignement sa dépouille. Mais avant tout, c’est la promesse que les histoires, les secrets, les souvenirs, leurs espoirs et un certain savoir soient racontés aux enfants et qu’ainsi ils se transmettent d’une génération à l’autre. Une part touchante de ce roman… Parce que si les uns sont de malhonnêtes truands endurcis, ils obéissent tout de même à des règles et sont unis par des sentiments nobles comme la peur, la dignité, le courage et la honte...
Laurent Gaudé célèbre aussi, dans son magnifique roman, un débordement de saveurs et de gourmandises. Dans l’Italie de Montepuccio, des oliviers à perte de vue se dressent fièrement dans les collines du village. Le vent bouscule les heures. Moules, gnocchis, troccoli à l’encre de seiche, anchois frits, aubergines grillées, grappa, limoncello et alcool de laurier embaument l’air et vous mettent en appétit. Un grand banquet donné en l’honneur de la familia, dans un trabucco typiquement du pays, fait éloge de toute cette abondance qui tranche fièrement avec la pauvreté humaine. Ainsi, il épouse les odeurs et les couleurs aux sensations et ressentis de ses personnages pour les alléger… ou encore les élever dignement?
« Il fait trop beau. Depuis un mois, le soleil tape. Il était impossible que tu partes. Lorsque le soleil règne dans le ciel, à faire claquer les pierres, il n’y a rien à faire. Nous l’aimons trop, cette terre. Elle n’offre rien, elle est plus pauvre que nous, mais lorsque le soleil la chauffe, aucun d’entre nous ne peut la quitter. Nous sommes nés du soleil, Elia. Sa chaleur, nous l’avons en nous. D’aussi loin que nos corps se souviennent, il était là, réchauffant nos peaux de nourrissons. Et nous ne cessons de le manger, de le croquer à pleines dents. Il est là, dans les fruits que nous mangeons. Les pêches. Les olives. Les oranges. C’est son parfum. Avec l’huile que nous buvons, il coule dans nos gorges. Il est en nous. Nous sommes les mangeurs de soleil »
Merci ma chère Nadael de m’avoir accompagnée dans cette lecture