« C’est ma vie et je l’ai vécue comme je voulais la vivre… Le monde réel est un vrai foutoir »
« On ne naît pas femme, on le devient »
Si vous pensiez que Simone de Beauvoir passait ses samedis soirs dans la quiétude de son foyer à boire de la tisane détrompez-vous! La mère de l’existentialisme, fraîchement débarquée à New York dans les années 40 pour donner une série de conférences, n’aura de cesse de s’envoyer en l’air et de faire la fête - Sartre en fera tout autant à Paris avec une certaine Dolorès. Chaque soir, dans les bas-fonds de la ville, ce sera jazz et caves enfumées à s’enfiler des whiskies, non sans avoir oublié de se bourrer préalablement d’amphétamines. La personne qui m’a offert ce livre savait que je me régalerais de découvrir cette grande dame que j’admire tant sous des dehors plus humains, à tout le moins plus éclatés. Dans les bars douteux et les planques à junkies, Simone est délicieuse…
C’est dans ce décor « idyllique » qu’elle rencontrera Nelson Algren, un écrivain de Chicago, l’homme qui, de son propre aveu, fut la seule grande passion de sa vie. Un homme débordant d’humour avec un pouvoir de séduction irrésistible, engagé dans le camp des pauvres et des opprimés. Elle quittera Sartre pour lui, mais lorsqu’elle apprendra sa liaison avec Dolorès, elle coupera contact, s’obstinera à le fuir. En vain… Après des semaines de bouderies, elle reviendra vers lui pour l’éviter à nouveau. Tourmentée, elle retombera dans les amphétamines, la boisson et l’écriture à outrance. Pour revenir vers Nelson… Une spirale infernale qui durera des années et aux termes de laquelle elle se résoudra à reconnaître que Sartre a une réelle emprise sur elle.
Loin d’être dupe, Nelson la confrontera à plusieurs reprises, insistera sur ce que représente Sartre à ses yeux. Ce à quoi elle répondra que s’ils ont été amants, tout est fini depuis des années. Qu’ils ne sont liés que par le travail et que si elle a une communion de pensées avec lui comme elle ne l’a jamais eue avec personne, Nelson est le seul qui compte. Cela ne lui suffit pas, elle réalise que si elle veut le garder elle devra être honnête envers lui, mais comment le lui dire? Comme lui dire que tout ce qu’elle souhaite est qu’il l’aime mais qu’il la laisse repartir au gré de ses envies? Elle y renoncera. Jamais elle n’y sera arrivée…
Il la quitte à son tour et la spirale repart en sens inverse. Elle se drogue aux barbituriques et plonge dans un sommeil hanté par les cauchemars. Les crises de nerfs s’enchaînent, Simone dérape, tente de le reconquérir et finit par en perdre toutes ses passions. Où sont passés ses larmes, ses protestations, ses élans de gamine, le regard du plaisir quand elle jouissait? Simone parvient enfin à choisir entre ses passions contradictoires et renonce à une liaison sans issue pour aller sagement finir ses jours dans les bras de son premier amour… Quelle tristesse! Durant quatorze ans ils se sont écrits plus de 300 lettres. Amoureux fou, Nelson n’aura jamais pu lui donner moins que de l’amour…
Ces 450 pages nous permettent de découvrir une femme dont les amours tourmentées ont mené progressivement au désespoir. Une femme d’une grande intelligence - philosophe et romancière - têtue, provocante, persistante et fascinante à la fois...
« I don’t think anything’s true that doesn’t have poetry on it »
Nelson Algren